Au tournant des années 1960-1970, « l’éducation permanente » est devenue un grand récit politique porté par des organisations internationales, notamment l’UNESCO.
En France, l’accord national interprofessionnel du 9 juillet 1970, fruit d’une négociation collective (sous pression du gouvernement), retranscrit (et élargi) dans la loi du 16 juillet 1971, a marqué une étape majeure dans le développement de la formation professionnelle continue (FPC).
A l’époque, l’expression d’ « entreprise formatrice » n’était pas utilisée et aurait semblé décalée pour plusieurs raisons. Dans la logique de l’éducation permanente, c’est la forme scolaire (le stage de formation) qui était alors privilégiée au détriment des apprentissages en situation de travail. Seules les entreprises de 10 salariés et plus relevaient du fameux « 1% formation », institué par la loi de 1971.
Cette obligation de dépenser pour la FPC cette fraction de leur masse salariale ne les contraignait pas nécessairement à former chaque année certains de leurs salariés. Ainsi, elles pouvaient se « libérer » de l’obligation en versant tout ou partie des sommes dues à des fonds de mutualisation et, en dernier ressort, au fisc. Nombre de PME abondaient d’autant plus ces fonds, constitués au niveau des branches et secondairement des territoires, que les normes légales – formation en dehors du temps de travail, mobilisation de moyens spécifiques en vue de réaliser un programme préétabli – pouvaient les décourager de s’engager dans la construction de leur propre plan de formation.
Souvent décriés, ces fonds ont connu plusieurs « rationalisations » de leurs périmètres et de leurs compétences imposées par le législateur, la dernière datant de 2018 avec la création des opérateurs de compétences (OPCO).
Les dimensions collectives du recours à la formation comptent d’autant plus que, depuis 50 ans, les règles du jeu résultent de lois dites « négociées » parce que précédées par des accords interprofessionnels, eux-mêmes relayés par des accords de branche et d’entreprises. De longue date, cette dynamique s’est complexifiée avec la contractualisation et la décentralisation de l’action publique. La première a diversifié les regroupements d’employeurs éligibles : outre la branche, des sous-secteurs, des regroupements territoriaux, des réseaux donneurs d’ordre – sous-traitants etc. La seconde a durablement installé les Régions dans les configurations de référence.
A l’origine, les plans de formation des entreprises, éventuellement soutenus par des fonds de mutualisation, étaient censés favoriser le développement des qualifications des salariés au sein de marchés internes du travail, encadrés par des règles propres à la branche d’appartenance. Tant du point de vue des normes que des pratiques, les évolutions ont été sensibles. La référence montante aux compétences a diversifié la conception d’une action de formation en entreprise : pas nécessairement pendant le temps de travail, parfois co-financée par le salarié, possiblement réalisée en situation de travail, articulée à une éventuelle mobilité externe, par exemple en cas de restructuration. Le référentiel, aujourd’hui prédominant, de « la formation tout au long de la vie », est à la fois un vecteur et une traduction de cette souplesse normative croissante. En outre, à compter de 1983, lois et accords collectifs se sont saisis de la formation des jeunes et, plus récemment et modestement, de la sécurisation des parcours professionnels. Est en jeu une redéfinition du partage de responsabilités entre employeurs, salariés et pouvoirs publics dans le cadre d’une individualisation croissante des droits que symbolise la création du compte personnel de formation (CPF), sur fond de fortes inégalités d’accès à la FPC.
Lors de ces troisièmes Journées Vincent Merle, les enjeux relatifs à « l’entreprise formatrice dans tous ses états » seront abordés à diverses échelles, du territoire à l’Europe, notamment autour des questions suivantes :
- Les politiques de formation d’entreprises peuvent-elles concilier égalité(s) et compétitivité(s) ?
- Quelle reconnaissance des formations tant du point de vue des entreprises que des salariés et des formateurs ?
- Comment s’articulent les interventions des branches et des territoires ?
- Quelle prise en compte des besoins spécifiques au sein des organisations publiques et de l’économie sociale et solidaire ainsi que des très petites entreprises ?
Avec la crise sanitaire, le télétravail s’est fortement développé tout comme l’usage du numérique en formation tant initiale que continue. Ces dimensions seront sans doute aussi présentes dans les réflexions et débats sur « l’entreprise formatrice ».
Pour le Comité scientifique, les co-présidents :
Éric Verdier
Directeur de recherche émérite CNRS au Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST), Aix-Marseille Université
Frédéric NEYRAT
Professeur de sociologie à l’Université de Rouen Normandie.