Préjugix, le "médicament" anti préjugés
On a tous des préjugés : Pourquoi ne pas les traiter ?
Retour sur l'aventure Prejugix
Toute l'info sur Prejugix : www.prejugix.com
Webinaire de présentation de Préjugix
Quand on est chômeur, il n’est pas rare d’entendre : "Fainéant !" "Profiteur !" "Tu coûtes trop cher à la société !" En tant que professionnel(le) de l’insertion, de la formation, de l’emploi, de l’orientation, vous avez peut-être été témoin de préjugés de ce genre que subissent les publics que vous recevez et accompagnez.
Dans le cadre de son programme de professionnalisation, Cap Métiers proposait en décembre 2020 un webinaire de présentation de Préjugix, le premier "médicament" anti-préjugés. La conduite partenariale de ce projet régional et son application concrète dans une mission locale y ont été présentés.
Replay du webinaire de présentation de Préjugix
Un remède contre les préjugés, de l’art au partenariat
Interview de Patrick Delpech (O.S. l’association)
« Le point de départ de Préjugix, c’est ma démarche artistique », décrit Patrick Delpech, directeur artistique de « O.S. l’association » (O.S. pour « Open Space »). « Je suis plasticien, je fais des interventions en public, en improvisation. Et c’est dans ce cadre, en particulier avec des personnes en situation de handicap psychique, que j’ai rencontré en 2013 des adhérents d’« Entraide et vous », le groupe d’entraide mutuelle de Villeneuve-sur-Lot. Je les ai invités à venir dans mon atelier pour imaginer ensemble une performance en public. »
C’est au cours de ce travail en commun qu’un des participants, schizophrène, menuisier de métier, a exprimé sa lassitude de constater que son trouble était systématiquement associé avec les tueurs en série. « Je leur ai proposé de distribuer dans la rue un objet, comme des bonbons contre les préjugés. Cela a pris 6 mois avant que je me rende compte que c’était un peu trop difficile d’envisager une intervention directe face aux gens. Comme ils sont tous sous traitement, j’ai ressorti l’idée d’un médicament contre les préjugés que j’avais dessiné en les écoutant. »
Cette idée a fini de synthétiser le concept Préjugix, déposé officiellement en avril 2014 par O.S. l’association, créée la même année pour porter le projet. Une réflexion collective a été menée pour choisir les thèmes à aborder. Un an après, 9 partenaires rédacteurs sollicités pour rédiger des notices sur des thèmes divers (Handicap physique et mental, Dépression, Seniors, Jeunes, Violences conjugales, Homosexualité, Reconversion professionnelle...) ont rendu leurs contenus à l’issue d’une phase de rédaction de quelques mois. Le Préjugix 200 a été lancé officiellement en décembre 2015.
« Il y avait l’intermédiaire de l’outil artistique, qui permet d’incarner le message, pour que ça ait une valeur. C’était aussi une sorte de revanche pour certains rédacteurs, d’être sous traitement et de soigner la société. Le collectif a un peu grossi autour de l’association, et on a conclu que c’était plus intéressant de faire un seul produit avec tous les thèmes, qu’une boîte par thème. »
Depuis le départ du projet, la dimension de co construction est jugée essentielle par l’association. Ce n’est pas tant le concept du médicament qui soigne les maux de la société, que la transversalité des sujets permettant de se décentrer de sa propre problématique. « On voulait s’attaquer aux causes des discriminations. Les préjugés, on en a tous. Mais ensemble, on a la possibilité de les identifier plus vite. On arrive à en faire un point commun, un point de départ pour des échanges. La dimension de création artistique c’était d’utiliser le prisme de l’art pour imaginer quelque chose d’original avec ce qui nous encombre, des faits de société, des problématiques autour de la rencontre, avec lesquels on a du mal à coexister. »
Devant le succès du Préjugix 200 mg, distribué à 50 000 exemplaires, l’association a décidé fin 2017 de mettre en chantier une nouvelle version, le Préjugix 400 mg. Le principe est resté le même en étendant l’action aux 12 départements de Nouvelle-Aquitaine, avec l’ambition de trouver au moins un rédacteur par département. Un appel à projets a été lancé et, pour en faire la promotion, une « Préjugix party » s’est tenue dans chaque département. Il s’agissait d’expliquer la démarche, présenter les boîtes de 200 mg pour que les éventuels partenaires puissent se projeter sur le nouveau produit. Pour déposer un dossier, il fallait proposer un thème qui n’avait pas déjà été abordé.
Cette véritable tournée d’un an a finalement débouché sur deux comités de sélection qui ont déterminé la liste des 16 notices retenues. « Nous avons augmenté le nombre de thèmes par rapport au nombre de départements. Nous voulions aussi inclure certains sujets, par exemple les détenus ou l’autisme, qui n’avaient pas trouvé place dans la première boîte, faute de partenaire. D’autres nous ont convaincu alors que nous ne les avions pas anticipés, comme l’handiparentalité. »
Dans Préjugix, les rédacteurs de notices ne sont pas les seuls partenaires importants. Le projet a besoin de relais pour mettre en forme les boites livrées en kit, tester leur efficacité, organiser des évènements, des distributions. Il faut également des partenaires financiers. « Le fait que ma démarche personnelle, dans ma pratique artistique, comprenait déjà le participatif, la dimension de l’instant, est importante. Je n’ai pas eu de mal à ouvrir le champ de l’acte créatif pour cet objectif commun, avec beaucoup de participants. Là où j’ai évolué, c’est sur la démarche de construction de projet, qui est un temps que je n’imaginais pas mobiliser à ce point-là. C’est très intéressant d’avoir une véritable politique de gestion des partenariats, publics et privés, ce qui nous permet d’être crédible dans les deux univers, et d’être responsables de l’argent public. On a eu la chance de trouver des gros partenaires privés, au premier rang desquels AG2R La Mondiale, qui nous ont permis de rééquilibrer les choses, de ne pas tout attendre de l’Etat. Mais sans le soutien de l’Agence régionale de Santé et de ses animateurs et animatrices, nous aurions du mal à faire du maillage de territoire. Pareil avec la Région, qui nous a mis en contact avec un réseau de rédacteurs. »
La première édition du Préjugix 400 mg a été tirée à 60 000 exemplaires fin 2019, avec notamment une distribution dans 210 pharmacies, à raison d’une ou deux villes par département. L’association a également produit des vidéos évènementielles, des films de présentation de la démarche, des tutoriels de montage de boîte, des exemples d’utilisation, etc. Ainsi que des interviews photomaton, pour donner la parole à différents partenaires. Le site Internet sera reformaté, afin de valoriser les rédacteurs, et proposer à d’autres structures de rédiger des nouvelles notices qui seraient disponibles en format numérique. En décembre 2020, le projet fêtera ses 5 ans, avec un évènementiel numérique qui se déroulera sur les réseaux sociaux.
O.S. l’association a d’autres projets, même si le Préjugix lui prend beaucoup de temps. Sa raison d’être reste de faire venir des publics d’horizons différents pour partager des idées créatives, des concepts, créer de façon participative et ouvrir le champ de la création. « A partir de maintenant, notre priorité c’est de valoriser les boites. Nous avons réalisé un film qui va nous permettre de mieux communiquer sur leur utilisation. Nous voulons privilégier une approche intergénérationnelle, en allant à la rencontre de personnes âgées en ehpad, et des collégiens et lycéens pour créer avec eux une Préjugix party et les accompagner à utiliser les boîtes de manière autonome. Ensuite nous continuerons à développer les outils et la démarche pour qu’elle s’étende. En conservant le lien avec la dimension culturelle qui est dans l’ADN de l’association. »
Cap Métiers - 1er décembre 2020
Agir pour qu’un préjugé n'aboutisse pas à une discrimination
Interview, côté rédacteur, de Régis Morisson (Mission locale de Limoges)
La mission locale de Limoges fait partie des « partenaires rédacteurs » du Préjugix 400. C’est plus particulièrement Régis Morisson, conseiller et référent discrimination, qui s’est chargé de préparer une réponse à l’appel à projets de l’association OS. A l’issue d’une « Préjugix party », que l’association est venue animer à Limoges fin 2017, il a sollicité les jeunes présents afin de trouver un thème qui n’avait pas déjà été abordé.
« Nous avons décidé de partir sur la tyrannie de l’apparence. Mais l’intitulé a été jugé trop orienté. Le sujet les intéressait, donc nous sommes restés sur l’apparence. Plusieurs jeunes ont été partants pour travailler sur une notice. Comme je suis aussi chargé de relations entreprises à la mission locale, mon souhait était qu’une entreprise participe à la création d’un atelier, pour avoir en quelque sorte la vision économique des préjugés en rapport avec les apparences. J’ai sollicité une entreprise de travail temporaire, qui me paraissait intéressante parce qu’elle fait le lien entre les publics et les entreprises. »
Ce travail a duré environ une année. L’objectif des ateliers était de faire émerger des préjugés, parler des réactions qu’ils suscitent, puis élaborer des messages en regard de ces réactions. Les deux principaux préjugés ressortis de ce travail ont été « les gros sont fainéants » et « l’habit fait le moine ». Plusieurs réactions ont suivi, du « ce n’est pas de leur faute » à « c’est une maladie », en passant par « il faut être courageux pour affronter le regard des autres », « les apparences sont souvent trompeuses », « les habits sont des leurres ou des carapaces qui peuvent masquer le manque de confiance », ou encore « les dress codes sont nécessaires pour accéder à certaines professions. »
De ces échanges, parfois accompagnés de témoignages personnels, sont sortis une série de slogans, « ça n’est pas parce qu’on porte une tenue de pilote qu’on sait faire décoller l’avion », ou des messages plus « sérieux » du type « la densité corporelle n’a pas d’impact sur la volonté et n’affecte pas la compétence ».
« La notice que nous avons proposée a été validée, et en tant que partenaire rédacteur, nous avons été amenés à mettre en place plus d’une centaine d’ateliers à destination de différents publics, soit à la mission locale, soit délocalisés dans d’autres structures comme des écoles ou le Centre Hospitalier d’Esquirol. Nous devions aussi mettre en forme plus de 5 000 boîtes. »
Lors des ateliers, il s’agissait de préparer des boîtes de Préjugix 400 avant distribution, de présenter l’association et la démarche, d’expliquer comment la mission locale a élaboré une notice avec des jeunes et des entreprises. Mais surtout, à chaque fois, de réaliser un travail sur les préjugés, et de répondre à des questions essentielles : qu’est-ce qu’un préjugé ? D’où peut-il venir ? Qui le véhicule ? Comment il se transforme ? Comment réagir ? etc. Pour chaque idée, il fallait trouver un argument, échanger au sein du groupe, afin d’aboutir à une définition commune.
« Nous avons beaucoup travaillé sur la question des entretiens d’embauche. Car notre finalité est bien celle-là, accompagner les jeunes pour qu’ils trouvent du travail. Si un jeune se rend à un entretien avec une tenue pas adaptée, il prend le risque d’échouer. Il doit être conscient qu’il existe des dress code, des choses à respecter en matière de tenue vestimentaire ainsi que dans son apparence physique, coiffure, piercings, tatouages… »
Pour Régis Morisson, la plus-value du projet réside dans le travail mené en commun avec les jeunes et l’entreprise, mais également dans la façon dont chacun est amené à interroger ses propres préjugés. Par ailleurs, notamment grâce à la médiatisation du Préjugix, il a permis à la mission locale de consolider des partenariats ou d’en créer avec des acteurs qu’elle avait moins l’habitude de rencontrer, comme des personnels de santé. Seul regret, ne pas avoir pu faire plus d’ateliers avec des entreprises.
« On s’est servi du Préjugix pour faire des ateliers avec des jeunes en Garantie jeunes. Des fois le discours a été assez virulent. On parle apparence, mais quand on aborde un préjugé, inévitablement on dérive assez vite sur un autre. Un préjugé peut-être problématique en soi, mais quand il débouche sur de la discrimination, quand il empêche quelqu’un d’accéder à une position, il devient grave. »
« Aujourd’hui, je m’en sers encore. Pas forcément de toutes les notices, certaines ne concernent pas nos publics ou la question de l’emploi. A chaque fois que l’on fait des ateliers, des simulations d’entretien, des candidatures, pour les services civiques, je parle des apparences. Je m’inspire des notices pour travailler sur ce point, le premier effet que l’on donne à voir. L’idée c’est de faire une formation pour aider les jeunes à construire leur « pitch », travailler leur présentation pendant leurs entretiens. Avec le CV vidéo, on constate que c’est la mise en avant du physique de la personne qui vient en premier. On utilise son image pour vendre ses compétences. A chaque fois que l’on aborde le sujet, il y a des choses qui ressortent. »
Cap Métiers - 1er décembre 2020