Au sein de la Boutique Club Emploi de Limoges, la réflexion sur l’intégration du numérique a été lancée dès 2015. Elle est longtemps restée à l’état de projet, faute de temps pour s’y consacrer pleinement. Ce qui semblait à l’époque n’être qu’un horizon lointain s’est transformé en réalité concrète en 2020. La crise sanitaire et son corollaire, l’interdiction des rassemblements, ont rendu impossible la continuité des « Clubs Emploi » traditionnels, les accompagnements collectifs de l’association. Problème de taille, puisque l’atout principal du club emploi est de rassembler des gens autour d’une table et de partager des informations, des outils, des techniques, des pistes.
« Il a fallu trouver une alternative au club de chercheurs d’emploi physiques, à savoir des accompagnements à distance,» explique Mustafa Gursal, directeur de la Boutique Club Emploi de Limoges. « Nous nous sommes posés beaucoup de questions, particulièrement en ce qui concerne les personnes les plus éloignées de l’emploi qui ont à gérer en parallèle plusieurs difficultés. Avec l’usage des outils numériques, est-ce que nous n’étions pas en train d’ajouter un frein supplémentaire à leur accès à l’emploi ? On ne pouvait pas aller dans cette voie là si la réponse était clairement oui. »
Les premières semaines ont été délicates pour cette structure de 8 salariés, qui a dû tester, choisir, puis s’acclimater à de nouveaux outils. Sans l’appui d’un réseau national, c’était à elle de trouver des solutions pour adapter ses pratiques pédagogiques. La décision a été rapidement prise de ne pas faire de la maitrise du numérique un critère pour l’accès à ses accompagnements.
« Nous avons essayé de faire du cousu main, c’était la condition sine qua non pour ne laisser personne au bord du chemin. Au final, nous avons réussi à mettre en place une offre à distance en conservant l’esprit de nos clubs. Pour moi, toute la valeur ajoutée réside dans les temps annexes à l’accompagnement proprement dit : les moments d’échange informels entre les participants eux-mêmes et avec les conseillers. Ces temps en « off », nous les avons conservés mais ils restent moins nombreux. Pour l’essentiel, les gens se connectent, travaillent sur le sujet ou la thématique prévue. En général, nous pouvons mieux avancer en présentiel, mais à distance, nous sommes un peu moins présents et il y a peut-être des sujets qu’on n’arrive pas à identifier clairement, à percevoir. »
« Dans l’ensemble nous avons su adapter notre pédagogie. Nous sommes passés de 4 semaines à temps plein, à une alternance de séquences synchrones et asynchrones, d’une connexion en permanence à une connexion alternée avec des temps où la personne va travailler en autonomie, ou avec ses pairs, sur son C.V., un outil ou une démarche. L’approche est aujourd’hui différente par rapport à ce qu’on propose sur un accompagnement traditionnel. »
La formule présente d’autres avantages. Ainsi, les personnes situées loin du centre de Limoges n’ont pas hésité à participer, étant libérées de leurs problèmes de mobilité. Deuxième aspect intéressant pour les personnes les plus éloignées de l’emploi, leur participation à une formation ou une action à distance qui peut être valorisée dans le cadre d’un futur entretien d’embauche. Prouver qu’on est à l’aise avec l’outil numérique, qu’on est capable d’assister à une visio conférence, de respecter un délai, est un atout auprès des entreprises.
« Le fait de savoir utiliser ces outils n’est pas en soi une compétence que l’on peut mettre en avant. On ne forme pas les gens à devenir des webmasters ou des gestionnaires des comptes de réseaux sociaux. En revanche, comme le permis de conduire permet de se déplacer, la connaissance du numérique permet de communiquer sur ces formes nouvelles de travail, d’échange. »
Un club de chercheurs d’emploi est toujours précédé d’une réunion d’information collective. Les différentes contraintes sanitaires ont modifié l’organisation. L’association a décidé de conserver la formule habituelle. En respectant des consignes de sécurité la réunion se déroule en présentiel, pour créer un lien physique, visuel, même en présence des masques et des écrans.
En ce qui concerne la méthodologie du Club Emploi, la Boutique Club Emploi a gardé le même état d’esprit, en essayant de transposer tous ses sujets et thèmes. Certains exercices ont nécessairement été adaptés à un environnement numérique, comme le salon de thé dont l’objectif est de « briser la glace » en début de formation, point important dans la création d’une dynamique de groupe.
« Nous aurions pu adopter une approche différente, se dire que le numérique permet plein de choses, que nous devrions nous fixer des objectifs puis aller piocher quelques outils pour y répondre. Nous avons fait le choix d’adapter au numérique notre méthode d’animation collective créée en 1994. Au départ, je pensais que ce serait passager, mais aujourd’hui j’ai l’impression qu’il n’y aura pas de retour en arrière dans un proche avenir, qu’il faudra composer avec la contrainte. Cela va nous questionner sur nos pratiques dans le long terme. On va se saisir du numérique plutôt que de le subir. »
« Bien sûr qu’au fur et à mesure des années, nous devons améliorer nos outils. Longtemps nous avons résisté à l’évolution des pratiques numériques, puisque notre principe est de sortir les personnes de leurs quartiers, de les faire venir dans des locaux comme ceux de la CCI, de les faire se rencontrer. L’histoire a montré qu’on a eu plutôt raison. Nous allons sortir d’une logique d’adaptation à une volonté de saisir l’occasion pour transformer notre offre. Dans les nouveaux appels d’offre, je pense que l’accompagnement à distance sera une condition. Nous allons essayer d’en être des acteurs. »
Du côté des publics, les phases de formalisation, de constitution des dossiers, de rassemblement des pièces administratives, sont utilisées pour évaluer leur degré d’autonomie. Il existe un temps nécessaire d’adaptation où il faut répondre à des questions, rassurer les personnes sur les modalités d’accompagnement. La première matinée d’un club est consacrée aux modalités de connexion, au maniement des outils. Chaque groupe est différent, d’un mois à l’autre, le niveau de connaissance n’est pas le même.
Puisque les participants cumulent parfois plusieurs difficultés, l’association tient à lever ces obstacles par une vigilance accrue sur les outils, la maitrise, etc. Pour l’instant, avec les sessions en numérique, elle constate une légère baisse de la fréquentation. En comparaison de l’année précédente, les résultats en termes de sorties positives, d’accès à l’emploi, mettent plus de temps. Mais il est difficile de faire la part des choses entre le recours aux outils numériques et l’environnement économique dégradé.
« Pour établir une comparaison, il faudrait mettre l’année 2020 de côté, rapprocher 2019 et 2021, pour tenir compte des plans de relance mis en place et l’effet des structures qui intègrent le numérique dans leurs modalités d’accompagnement. Pour l’instant, j’ai du mal à dissocier. Les questionnaires de fin de période nous donneront peut-être des éléments. Avant, nous avions des remarques sur les locaux. Là elles porteront aussi sur les difficultés de connexion, la qualité de transmission, questions que nous devrons prendre en compte pour mesurer l’influence du numérique dans nos accompagnements. »
© Cap Métiers - novembre 2020