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Aller vers les publics, les pratiques hors les murs

Les pratiques professionnelles de l'accompagnement et de l'insertion évoluent en permanence, liées au contexte économique et sociétal, impliquant aussi des mutations des métiers.

Les pratiques "hors les murs" ont fait leur apparition il y a quelques temps déjà et visent à aller vers les publics qui ne mobilisent pas les dispositifs existants et ne sont pas accompagnés par les structures de l'insertion et de l'emploi.

Le repérage des publics dits "invisibles", et notamment des jeunes sans emploi et hors système scolaire, est devenu un enjeu décisif du Plan d’Investissement dans les Compétences lancé par le gouvernement en 2017. Le repérage de ces jeunes est également une priorité de la Garantie Européenne pour la Jeunesse.

Aller vers les publics dans leur environnement, un enjeu national

L’appel à projets "Repérer et mobiliser les publics invisibles et en priorité les plus jeunes d’entre eux" dans le cadre du PIC a été lancé en 2019 : il incite les professionnels à aller vers les personnes dans leur environnement qui ne sont pas accompagnées par les structures dites traditionnelles.
L'objectif est de les remobiliser et de leur permettre de bénéficier d'un droit, d'un accompagnement ou d'une formation pour s'insérer.

Cet appel à projets vise en particulier les jeunes de 16 à 29 ans révolus en situation de NEETs dits "invisibles", habitant les quartiers de la politique de la ville et les territoires ruraux les plus en difficulté, ainsi que les jeunes en situation de handicap.

En 2017, l’Injep considérait que 13,9 % des jeunes de 15 à 29 ans n’étaient ni en emploi, ni en études, ni en formation.
En 2018, ils étaient près de 963.000 jeunes à être dans une telle situation en France selon la Dares. 37 % des jeunes sortis du système scolaire, soit 350.000 environ, ne sont pas suivis et sont qualifiés d'"invisibles" par les pouvoirs publics et les professionnels de l’insertion.

En effet, ils n’ont pas l’obligation de se rendre dans une mission locale et les professionnels n’ont pas le pouvoir de les faire venir.
Dans des quartiers dits prioritaires, un métier s’est développé celui de "sourceur" ou de "référent de parcours" dont la mission principale est de bâtir des liens entre les jeunes et les structures d’accompagnement.
> Lire l'article "Pourquoi plus d'un tiers des 16-25 ans sans emploi ni formation sont invisibles des pouvoirs publics"

L'attente de l'appel à projets porte également sur la création d'approches nouvelles d'accompagnement, sur le développement d'actions innovantes et pro-actives ainsi que de nouveaux partenariats entre les structures de la formation, de l’insertion et de l’emploi et celles de l’aide sociale comme les Restos du cœur par exemple .

Zoom sur les publics "invisibles"

Qui sont les "invisibles" ?

Le repérage des publics dits "invisibles" est un enjeu décisif du plan d’investissement dans les compétences, qui vise à former et accompagner vers l’emploi un million de jeunes et un million de demandeurs d’emploi peu qualifiés.
Ce sont souvent des personnes parmi les plus vulnérables, parfois sans contact avec les institutions sociales ou le service public de l’emploi. La priorité est donnée au repérage de celles qui vivent dans des quartiers de la politique de la ville et des territoires ruraux les plus en difficulté, ainsi que les personnes en situation de handicap (confrontées à un décrochage scolaire plus massif et précoce en raison de leur handicap, d’un manque d’accès à la scolarisation dans les établissements médico-sociaux et des difficultés de transition entre le système éducatif et le monde du travail).


Les publics concernés 

L'appel à projets dans le cadre du PIC concerne donc :

  • des personnes qui ont déjà été identifiées par les acteurs de l’insertion et de la formation, mais qui ne souhaitent pas avoir recours à l’offre de service proposée par les acteurs de l’accompagnement vers l’insertion dans l’emploi;
  • des personnes très éloignées de l’emploi, « hors radars » des institutions publiques, du fait de différents facteurs (illettrisme, isolement social, handicap reconnu ou non, sans domicile fixe, personnes avec des pratiques addictives, économie informelle, rejet des institutions…).

Les actions dans le cadre de l'appel à projets visent les jeunes de 16 à 29 ans révolus en situation de NEETs mais elles peuvent conduire à aller au contact de tous les publics, parfois plus âgés. 


Témoignages et recherches sur les invisibles

Selon Claire Bernot-Caboche, Docteure en sciences de l’éducation, un jeune dit "invisible" est un jeune à l'arrêt et parmi les invisibles, les situations sont hétérogènes : il y a des diplômés, des chômeurs de courte et longue durée, des jeunes mères, des handicapés, des travailleurs découragés...
Dans son intervention en 2019 à la mission locale de Gier Pilat, Claire Bernot-Caboche parle de périodes spécifiques de rupture (des périodes à risques de tomber dans l'invisibilité alors que le jeune est encore suivi) et d'actions à construire en fonction du public visé et des besoins identifiés par les partenaires sur le territoire.

> Lire la note de synthèse de son rapport de recherche "Les jeunes invisibles : ni en éducation, ni en formation, ni en emploi et ni en accompagnement en France et en Europe"

Regarder la conférence de C. Bernot-Caboche

Une étude franco-québécoise du LEST et de l'INRS a été publiée en mars 2021 sur les rapports au travail des jeunes en situation de vulnérabilité, autour de 3 angles d'analyse :

  • des séquences de vulnérabilité et d' "agentivité" dans le parcours d'un jeune,
  • le rapport au travail entretenu par les jeunes sur la base de leurs propres expériences,
  • le rôle des professionnels et leurs interventions auprès des jeunes en situation de vulnérabilité.

> Lire l'étude publiée par l'Injep

Les invisibles, ce sont des personnes qui ont des accidents de parcours professionnels et de vie personnelle, fragilisées par la crise sanitaire et en grande précarité.
France 3 Nouvelle-Aquitaine a réalisé des reportages à Thouars (Deux-Sèvres) où le taux de pauvreté est de 17% et atteint 34% des moins de 30 ans :

In Système, le projet collectif des missions locales de Nouvelle-Aquitaine

IN Système est le projet auquel 37 Missions Locales et l’ARML Nouvelle-Aquitaine ont collectivement répondu dans le cadre de l’appel à projets "Repérer et mobiliser les publics dits invisibles" du PIC, pour accompagner des jeunes vers le droit commun.

Ensemble, elles mettent en place des actions innovantes de repérage et de raccrochage, "extra-muros" et "hors des temps d'ouverture traditionnels" de la mission locale.

Les actions de repérage visent des jeunes inconnus de la mission locale ou connus mais avec lesquels le contact est rompu. Elles sont déployées par la mission locale en complément de son offre de service traditionnel et portent sur des initiatives "extra-muros" (actions de repérage numériques ou déployées en dehors des murs de la structure d'accompagnement).

Une action numérique a été lancée en début d'année : "Ma Mission locale dans la poche", une application 100% Nouvelle-Aquitaine pour aller vers les publics.
Les missions locales de la région ont mis au point cette application (IOS et Androïd) pour smartphone pour être au plus près des jeunes et maintenir le lien.

Ainsi chaque jeune peut avec cette application :

  • se pré-inscrire à la mission locale de sa commune,
  • postuler à une offre d'emploi, de formation, de stage ou de mission de service civique,
  • s'inscrire à un évènement de la mission locale et suivre ses actualités sur l'application mobile mais aussi sur les réseaux sociaux,
  • demander un rendez-vous auprès d’un conseiller.

Une autre action "hors les murs" récente initiée par les missions locales de Bordeaux et des Hauts de Garonne en partenariat avec des acteurs locaux et de quartier comme l'association Entr'Autres, le centre d'animation du Grand Parc et d'autres : une itinérance dans les quartiers nord de Bordeaux a eu lieu le 27 avril 2021 et sera renouvelée, l'objectif étant d'être au plus près des publics et de les soutenir dans le contexte pandémique.
> Voir l'action sur la page facebook de la mission locale de Bordeaux

Les actions de raccrochage sont, quant à elles, des actions proposées aux jeunes repérés ou réactivés pour les intégrer ou les réintégrer à l’accompagnement Mission Locale.

> Regarder la présentation du projet par la mission locale de Périgueux

Autre regard sur les pratiques hors les murs

Invisibles : les repèrer... ou les écouter ?

> Un article d'Agnès Heidet et d'André Chauvet, spécialistes du conseil et de l'accompagnement.

"Mélimane a 12 ans. Elle se désolait hier qu’une de ses copines ne la "calculait" plus. Pire que pire, elle ne l’avait pas acceptée sur sa liste Snapchat ! Elle fait comme si je n’existais plus !

Qu’en dire ? C’est le quotidien de beaucoup d’adolescents quand le regard des autres conditionne leur humeur. Rien de neuf, nous direz-vous sauf que les réseaux sociaux en accélèrent les effets, utilisant jusqu’à l’extrême, l’importance de la reconnaissance comme marqueur existentiel. Et la fragilité de ces périodes peut provoquer bien des dégâts notamment quand ce qui se dit sur soi est non seulement non maîtrisable mais injuste et violent.
La visibilité serait donc une norme sociale incontournable. Vraie pour les entreprises soumises aux rudesses de la mondialisation et de la concurrence exacerbée, elle deviendrait progressivement, sans que l’on n’y prête attention, un enjeu personnel d’affiliation ou de relégation. Être invisible ?

De multiples mouvements sociaux, ici et ailleurs, ont remis cette question de la visibilité au cœur du débat démocratique symbolisé également par le film "Les invisibles de la république".
Une partie importante de la population serait hors des radars, éloignée de décisions politiques centralisées qui impactent son quotidien sans qu’elle se sente impliquée dans le processus de décision. Les raisons en sont multiples, à la fois contextuelles et historiques et l’objet de cette contribution n’est pas d’en faire l’analyse.

On perçoit néanmoins une réinterrogation de politiques généralisantes, pensées d’en haut et fort éloignées des préoccupations à la fois singulières et locales.
On repère vite que la question du "pour tous" relève plus du slogan que de la réalité.  Tout cela peut s’élargir au problème plus ancien et majeur du non recours au droit. Ce n’est pas parce que des droits existent que les personnes les connaissent ou qu’elles s’en servent. Ce n’est pas parce que des dispositifs dédiés sont mis en œuvre qu’ils touchent les publics.

Du coup, la notion d’invisibles est apparue (la sémantique n’est pas neutre) dans un appel à projets qui s’inscrit dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences (PIC) visant à former un million de demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés et un million de jeunes éloignés du marché du travail. Il s’agit, non seulement, de renouer le contact et de favoriser une remobilisation des publics invisibles, mais aussi d’assurer, à l’issue de cette phase, le relais vers une étape adaptée au parcours en construction. Les actions de cet appel à projet visent à « capter » les publics invisibles, avec une démarche d’"aller vers" la personne dans son environnement. La dimension de "raccrochage" et de sécurisation du parcours vise ensuite à convaincre les publics identifiés qu’une solution concrète et adaptée existe.


Un enjeu individuel et collectif majeur

Le moment que nous traversons collectivement nécessite parfois un pas de côté pour mieux investir ce qui est notre objectif partagé : permettre à tout un chacun de conduire sa vie au mieux et de s’insérer professionnellement. On peut s’accorder sur l’objectif suivant issu de cet appel à projet.

"… promouvoir une approche différente, qui part des personnes, des difficultés qu’elles rencontrent et des projets qu’elles conçoivent plutôt que des dispositifs et des logiques administratives…encourager les partenariats et les coopérations, à l’échelle des opérateurs comme à celles des institutions…"


Des questions en arrière-plan

On perçoit pourtant, à la lecture attentive de ces cahiers des charges et des propositions qui en sont issues, qu’un certain nombre de questions peuvent se poser.
Tout cela interroge la manière dont :

  • Nous considérons, portons attention aux personnes à qui ces dispositifs sont dédiés : s’agit t-il d’identifier des freins et de les lever ? Ou de considérer que toutes les personnes ont des ressources et qu’il s’agit de trouver les contextes propices ? On se focalise souvent, soit sur des difficultés à lever, soit sur des projets à initier. N’y a-t-il pas une alternative féconde à imaginer des contextes facilitants, mobilisateurs dont des projets pourraient émerger sans qu’ils soient préalables ?
  • Nous pensons les causes des difficultés et les leviers pour les identifier et les lever autour de diagnostics qui risquent de renforcer le sentiment d’impuissance (on touche là aux limites et aux dérives actuelles du concept d’employabilité),
  • Nous avons pensé la mobilisation et l’engagement jusqu’à lors dans le champ de la formation tout au long de la vie : projet…formation …emploi dans une linéarité d’un autre temps,
  • Nous construisons et imaginons les scénarios de sensibilisation du public et leur participation dans la formation mais également la place des lieux et des territoires,
  • Nous cherchons à capter ce public puis à la convaincre. Là encore la sémantique est terrible : repérer… capter… sécuriser. Nous saurions à priori ce qui est bon pour les personnes et il suffirait de construire une argumentation pour qu’elles se laissent convaincre du bien-fondé de nos dispositifs.

Or dans ce moment où l’énergie collective et les moyens sont présents, il s’agit de réfléchir ensemble sur comment mobiliser ce public éloigné de nos systèmes au regard des transformations en cours. Et il ne s’agit pas seulement de le rendre "visible", de savoir où il se trouve mais plutôt de mieux comprendre pourquoi nos propositions jusqu’à ce jour ont eu peu d’écho."


> Lire la suite de l'article sur le site www.dicidemain.com

 

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