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Les opérateurs face à la crise sanitaire

Cap Métiers a initié au printemps 2020 la diffusion d'une série d'articles pour faire état de la situation des acteurs de la formation et de l'accompagnement dans et vers l'emploi dans les territoires de Nouvelle-Aquitaine et de l'impact de la crise du Covid-19 sur leurs pratiques professionnelles et sur la vie de leur organisme.

Nous remercions tous ceux qui ont pris du temps pour apporter leur témoignage.


Vous pouvez continuer d'apporter votre contribution en sollicitant Cap Métiers : reportages@cap-metiers.pro

Lire : CFA de Saintes, une rentrée incertaine (16/07/20)

Comment avez-vous fait face au confinement ?

Le confinement a été une décision rapide et finalement très soudaine. Nous avons tenté de réagir au mieux pour envisager la continuité pédagogique. Nous avons rencontré quelques difficultés puisque les coordonnées des apprentis n’étaient pas toutes à jour et qu’il a fallu rapidement déterminer les meilleurs canaux de communication pour échanger avec les apprenants, qui n’étaient pas tous correctement équipés en matériel informatique. Par ailleurs il a fallu apprendre dans un temps très court à travailler à distance entre nous et avec nos partenaires.

Au final, nous avons choisi deux modalités, l’envoi des cours, en partie interactifs, par courriel et notre outil de gestion YPAREO qui permet de déposer des activités aux apprentis et de proposer une remédiation et une correction. Les équipes pédagogiques ont constitué des groupes de travail pour échanger des bonnes pratiques. Elles ont aussi suivi des formations aux outils numériques. Tout cela a généré une forte activité pour elles. Nous avons constaté des décrochages liés à la fracture numérique, à la difficulté de travailler seul ou encore parce que l’entreprise a maintenu son activité.

Il reste des arbitrages à faire quant à la stratégie à adopter pour la mise en place d’une FOAD. La question de l’équipement des différents acteurs reste centrale en particulier pour les enseignants même si la possibilité de venir au CFA a été offerte. Nous allons devoir analyser cette expérience pour envisager une gestion de la rentrée prochaine.

Comment gérez-vous le déconfinement ?

Nous avons fait le choix d’une reprise progressive, d’abord avec les apprentis qui quittaient le CFA parce qu’ils étaient en fin de cursus. Certains sont convoqués pour suivre une formation obligatoire inscrite au référentiel du diplôme. On les a fait revenir pour assurer la fin de formation, obligatoire pour certaines filières. Nous avons suivi les différents protocoles sanitaires pour encadrer notre reprise et pris en compte les consignes portées par le ministère de l’Education nationale pour organiser la délivrance des diplômes en privilégiant le contrôle continu.

Nous avons également profité de ce retour pour informer les apprentis des possibilités de poursuite de formation et préparer la rentrée. Nous accueillons maintenant nos premières années en respectant les consignes sanitaires : ils sont 12 par classe au maximum. Notre organisation nous permet de revoir tous nos apprentis. Nous pouvons évaluer les pertes en ligne et engager la poursuite de la formation pour préparer la rentrée prochaine.

Avez-vous constaté des décrochages ?

Nous avons constaté des phénomènes de décrochages mais de façon assez marginale. Certains ont subi la fracture numérique en raison de la fragilité de leur environnement. D’autres n’ont pas cessé de travailler en entreprise mais ont eu du mal à s’investir ou clairement annoncé qu’ils n’avaient pas la motivation. Tous les jeunes sont agiles avec les jeux et les réseaux sociaux mais le passage à des outils pédagogiques numériques (documents pdf modifiables, applications spécifiques) est plus difficile.

Malgré tout, nous avons tenté de garder le contact avec la majorité de nos apprentis et au fur et à mesure ils ont été participatifs. Les BTS ont globalement bien joué le jeu. Nous avions des doutes quant à la réussite de la continuité pédagogique avec des publics en difficulté. Finalement avec le temps, ces jeunes ont été capables de s’emparer petit à petit des outils numériques. Lorsque nous associons du présentiel dans un cadre privilégié et des activités à distance, nous parvenons à des effets positifs.


Comment avez-vous gardé le contact avec les entreprises ?

C’est la tâche qui nous a paru la plus compliquée. Comment donner un sens à l’activité de l’entreprise quand le CFA disparaît physiquement du paysage, qu’on n’est plus que sur une relation segmentée et virtualisée, dans un contexte où les employeurs travaillent à la pérennité de leur entreprise ?

Il y a eu une déconnexion dans le déroulement de la formation entre le CFA et l’entreprise. Nos pratiques habituelles ne prévoient pas le principe de prescrire des activités à faire en entreprise pour nos apprentis. C’est lié à la nature de la branche Bâtiment et plus spécialement de l’artisanat : activités itinérantes, réponses polyvalentes, priorité au carnet de commandes qui dirigent les choix du maitre d’apprentissage.

Le confinement a fortement ralenti l’activité des entreprises. Le retour sur les chantiers s’est fait progressivement, dans un premier temps en ne mobilisant pas les apprentis. Les entreprises ont réorganisé le travail en tenant compte des possibilités d’aides disponibles (chômage partiel).

Pour elles, l’apprentissage n’a pas été une variable d’ajustement, les effectifs d’apprentis ont été maintenus autant que possible. Nous n’avons pas connu de ruptures de contrat pendant le confinement, ni après. Les contrats ont été un peu mis en sommeil, mais n’ont pas connu le sort de l’intérim. Et leur réintégration s’est faite dès que cela a été possible.

Comment se déroule campagne d’apprentissage actuelle ?

Dans notre réseau national, qui accompagne peu plus de 100 CFA, nous évaluons la baisse d’effectifs pour la rentrée prochaine à 10% voire 30%. Aujourd’hui les entreprises ont de l’activité, mais l’incertitude réapparait à partir de novembre. Cela retarde la concrétisation d’une offre d’apprentissage, voire la signature de contrats.

Devant la situation, certaines familles préfèrent sécuriser l’avenir de leurs enfants et privilégier l’orientation vers le lycée plutôt que les incertitudes de l’apprentissage. De plus, nous n’avons pas pu communiquer comme les années précédentes, par exemple au travers de portes ouvertes, ni aller dans les collèges et lycées. Il est difficile aujourd’hui de dire de quelle nature sera la rentrée.

Comment voyez-vous l’avenir immédiat ?

Le CFA doit pérenniser le modèle de l’apprentissage, et en même temps développer d’autres modèles de services aux entreprises, par exemple l’AFEST. Mais il faut qu’elle fasse ses preuves. Il faudra également inscrire la formation à distance dans notre organisation, même en période normale, cela doit impulser une responsabilité partagée entre les différents acteurs de la formation. L’enjeu le plus important est de formaliser clairement ces nouvelles pratiques et permettre aux entreprises de renforcer leur action auprès des jeunes qu’elles accueillent.

Déployer de la formation à distance soit dans le CFA soit dans les lieux de vie des apprentis impose une organisation en termes de lieux, de matériels et de temps dédiés. Il faut une phase d’expérimentation qui doit impliquer l’équipe pédagogique pour la mise en œuvre ainsi que le maitre d’apprentissage qui doit s’approprier ces nouvelles méthodes et gérer autrement le temps de travail de son apprenti.

Cap Métiers - 16 juillet 2020

Lire : L’apprentissage, entre crise économique et plan de relance (3/07/20)

Raphaël Arbani est directeur du Campus du lac à Bordeaux et président de l’ARDIR*, Association Régionale des Directeurs de CFA de Nouvelle-Aquitaine.


Quel bilan tirez-vous de la période du confinement ?

Les CFA se sont très vite organisés pour assurer la poursuite de l’activité. En quelques jours, il a fallu mettre en place les outils de digitalisation et accompagner les équipes. Selon la FNADIR* et le ministère du Travail, 9 apprentis sur 10 ont pu bénéficier de la continuité pédagogique sur le plan national, ce qui est un très bon résultat.

Dans certains CFA, dont le nôtre, nous avions déjà enclenché un dispositif qui a vraiment trouvé son terrain d’expérimentation pendant cette période. Les formateurs n’ont eu d’autre choix que d’appliquer les modalités de digitalisation à grande échelle. Et comme nous y étions préparés, nous avons pu le faire de manière pertinente et rapide. Beaucoup de confrères avaient fait la même chose, ce qui a facilité le déploiement de ces modalités.


Comment ont-ils géré le déconfinement ?

Beaucoup de CFA appelaient de leurs vœux la reprise du présentiel, notamment pour les matières techniques. A partir du 11 mai, le ministère du Travail nous a mis en capacité de rouvrir en suivant un protocole sanitaire. Depuis, il s’allège au fur et à mesure, comme dans tous les autres établissements de formation. Cela nous permet de finaliser la partie professionnelle des formations et de reprendre le contact direct avec les apprentis. Nous avons priorisé les renforts techniques pour les 2e année afin qu’ils aient leur formation jusqu’au bout. Progressivement, nous avons réintégré les 1ere année. Tous les CFA n’ont pas fait les mêmes choix, cela dépend des contextes.


Y’a-t-il eu des défections en Nouvelle-Aquitaine et à quelle ampleur ?

Nous manquons un peu de recul pour ces données qui sont en général disponibles en juillet. Les décrochages concernent essentiellement les publics dits fragiles, surtout les apprentis qui ont été placés en activité partielle par leur entreprise, et qui ne pouvaient pas non plus aller au CFA. La relation en apprentissage repose sur le lien entretenu entre le jeune, l’entreprise et le CFA. En l’absence de ce lien pendant une trop longue période, il y a des risques de rupture. Nous avons enregistré quelques décrochages supplémentaires, mais le phénomène n’a pas été massif.


Comment se profile la reprise ?

Nous sommes d’abord passés par une phase de grande inquiétude, en raison de la situation des entreprises et l’incertitude sur leur capacité de mobilisation de recrutement d’apprentis à la rentrée. Rien n’est certain car elles devront d’abord assurer leur pérennité et la reprise de leur activité.

Entre temps, l’État a communiqué sur son plan de relance, notamment une aide à l’embauche d’apprentis (5000 pour un mineur, 8000 pour un majeur). Il est encore tôt pour savoir ce que ça produit, nous verrons à la fin de la campagne. Mais ce plan a deux mérites, celui d’être ambitieux et simple, condition nécessaire pour qu’il soit attractif auprès des entreprises.

Nous restons inquiets sur le fond, puisque c’est le recrutement en général qui est remis en question, pas seulement celui des apprentis. Est-ce que l’apprentissage va suivre la tendance générale à la baisse, ou le dispositif saura tirer son épingle du jeu grâce à un bilan avantage/inconvénients très positif du point de vue économique ?  Ce qui est sûr, c’est que sans ce plan de relance, la rentrée s’annonçait catastrophique. 


Selon vous, à quel niveau s’établira la baisse du nombre d’apprentis ?

Beaucoup de CFA penchent pour une hypothèse de 20-30 % d’apprentis en moins. C’est une évaluation basée sur le nombre de fermetures d’entreprises. Mais le plan de relance rebat les cartes notablement. Donc on ne sait pas ce que sera la rentrée. Malgré les difficultés, les manifestations de promotion comme les portes ouvertes ont été maintenues en virtuel, avec des forums sur Internet. Tous les acteurs se sont mobilisés pour communiquer, comme l’Etat et la Région. A l’ARDIR, nous appelons de nos vœux une vraie campagne de communication publique sur l’apprentissage qui tomberait vraiment à point nommé.

Il faut dire aux familles que ça n’est pas risqué de candidater dans un CFA, il faut continuer à leur faire confiance. Il serait incroyable que nous ayons les entreprises, mais pas les jeunes qui ne seraient pas venus par peur de ne pas trouver de contrat. D’autant que le plan de relance prévoit la possibilité d’accueillir un jeune en CFA pendant 6 mois sans entreprise. Ça laisse plus le temps pour favoriser sa mise en relation, le risque est plus limité. Même si certaines entreprises prennent plus de temps à se décider compte tenu des circonstances, elles auront forcément des besoins à terme. Par exemple, dans un secteur qui a été très touché comme la restauration, je dispose aujourd’hui de 200 offres. Il y a aussi des entreprises nouvelles, qui se tournent vers l’apprentissage après avoir pris connaissance du plan de relance.


Comment se déroule la campagne qui a débuté début juin ?

Nous avons un peu moins d’offres que les années précédentes, mais c’est plus un retard à l’allumage puisque l’on vient juste de quitter le confinement. Dans des secteurs où on aurait pu craindre le pire, on se rend compte que les demandes de contrat sont au rendez-vous. C’est prometteur pour la rentrée prochaine. Le juge de paix, ce sera septembre. Ensuite, après le premier trimestre 2021, nous serons sur la fin de la période des 6 mois. Beaucoup de choses vont se jouer là et vont nous éclairer sur la suite.


Selon vous, quelles seront les évolutions qui seront suivies par les CFA ?

Ce que nous aurons appris de cette crise, c’est que la digitalisation bien faite, ça marche. Dans les dispositifs pédagogiques, ce qui va rester c’est une habitude d‘utiliser des outils digitaux de manière plus naturelle. Mais ce sujet ne doit pas se transformer en dogme. Il faut en avoir une vision très empirique. Nous sommes passés à la vitesse supérieure et ça laissera des traces. Cela pourra notamment fluidifier les flux dans les CFA et alléger la pression sur les plateaux techniques.

Pour autant, il ne faut pas tomber dans le travers de considérer qu’un bon CFA doit être « numérique ». Il faut trouver le bon équilibre, en nous gardant bien d’en faire la voie unique du progrès. Mais il est certain que la digitalisation va progresser en quantité et en qualité, comme on le voit dans les entreprises.

Cap Métiers - 3 juillet 2020

*L’ARDIR : En nouvelle aquitaine, l’association compte une soixantaine de directeurs ou responsables de CFA. C’est une association de pairs, pas une fédération patronale, qui rassemble des acteurs de terrain dont l’expertise technique est reconnue par les pouvoirs publics. La FNADIR est la fédération nationale qui représente les 13 ARDIR régionales.

Lire : Les formateurs indépendants à l’épreuve de la crise (9/06/20)

Les formateurs indépendants à l’épreuve de la crise

Au début du mois de mars, les organismes de formation ont tous été confrontés à une situation exceptionnelle à laquelle ils ont répondu différemment suivant la nature de leurs actions, leurs publics, leurs moyens. Il en a été de même pour les formateurs indépendants, avec la différence qu’ils ne disposent pas forcément des mêmes garde-fous. Pour ceux qui interviennent pour le compte d’autres organismes, l’impact a été immédiat et assez fort. Certains ont pu prendre en route le train de la poursuite d’activité. D’autres ont du tout arrêter brutalement.

Sophie Nonnenmacher, consultante et formatrice (SH Formation et conseil à Limoges), intervient individuellement au titre de son cabinet pour des formations (égalité femmes-hommes, lutte contre les discriminations, dialogue social, etc.), ainsi que pour des organismes comme la CCI et des entreprises associatives ou publiques qui la sollicitent. « De ce côté-là, tout le présentiel a été annulé, en raison de l’arrêt des activités et de la fermeture au public, sans dates ultérieures. Heureusement, j’ai d’autres offres de service. Si je ne faisais que de la formation pour des organismes, je me serais retrouvée en grande difficulté. »

« Une année perdue »

La situation est plus difficile pour Joëlle Tobelem (Société Nota Bene à Poitiers) qui accompagne les professionnels du secteur social et médico-social. Ses clients sont des EHPAD et des établissements accueillant des personnes en situation de handicap, et sa particularité est de travailler avec un organisme québécois dans le cadre de l’approche « Carpe Diem » (Formations des personnels accompagnants des personnes malades d’Alzheimer et/ou personnes en situation de handicap). « Depuis le début du confinement, il ne se passe plus rien avec les établissements dans lesquels nous devions intervenir (6 formatrices québécoises et moi-même). Toutes les formations ont été annulées, y compris certaines qui étaient programmées en fin d’année. Elles ne reprendront pas  avant que l’on puisse revenir dans les établissements et que les intervenantes soient à nouveau autorisées à entrer sur le sol français. Pour 2020, aucun report n’est possible. C’est vraiment une année perdue, pas récupérable

Les EHPAD ont été contactés pour leur proposer de poursuivre les formations à distance, même si elles perdent un peu de leur intérêt et qu’elles sont difficiles à organiser en visioconférence, puisqu’elles reposent beaucoup sur le contact direct, les interactions, les jeux de rôle. Mais tous ont refusé, sauf pour quelques formations courtes à la rentrée, destinées uniquement à des équipes de cadres avec peu de participant.

« J’interviens aussi à l’IUT. J’ai mis en place une classe virtuelle pour terminer l’année avec les étudiants. » décrit Sophie Nonnenmacher. « Passés les quinze premiers jours d’adaptation où il a fallu gérer les annulations, j’ai mis en place 2 webinaires gratuits par semaine, pour garder le lien avec mes clients, entreprises ou salariés. Le point très positif est que je « rencontre » des gens partout en France. Certains s’inscrivent d’eux-mêmes, sans passer par leur service RH ou leur chargé de formation. Ils ont pu venir voir le travail que je fais. J’espère que ça aura un effet boule de neige en sortie de crise. »

« L’insécurité économique est plus difficile à vivre »

Les formateurs indépendants n’ont pas de contraintes liées aux salariés, comme c’est le cas des organismes de formation. En revanche, ces derniers ont pu bénéficier d’un maintien des salaires, du chômage partiel ou encore d’une aide financière.  « En tant qu’indépendant, je ne rentre pas dans les cases de l’aide de l’Etat de 1 500 euros. En fait l’insécurité économique est plus difficile à vivre pour l’indépendant qui travaille à la mission. Je connais des collègues qui n’ont droit à rien, et qui vont devoir retrouver une activité salariée plus sûre, parce qu’ils n’ont pas de trésorerie, et des marchés qui ne s’ouvrent pas. Sans compter le décalage entre le contact client et le paiement. Et en été, c’est une période pendant laquelle on travaille peu ou pas du tout. »

De son côté, Joëlle Tobelem s’est brutalement retrouvée devant le fait accompli. Elle a subi une perte totale de son chiffre d’affaire, ce qui l’a obligée à recourir à un prêt garanti par l’État, qu’il faudra bien sûr rembourser. Elle regrette qu’entre les aides de l’Etat, de la Région (si prêt refusé) et les prêts, il n’existe aucune solution pour compenser la perte sèche des organismes de formation, quand ils n’ont pu réussir à poursuivre leur activité à distance.

Ses contrats contiennent une clause qui prévoit une indemnisation en cas d’annulation des prestations de formation, mais il est très délicat de la faire valoir auprès ses clients de longue date, avec lesquels elle veut continuer à entretenir de bonnes relations. « Je leur demande s’ils veulent bien, par solidarité, payer uniquement les frais de gestion c’est à dire les frais engagés. Certains acceptent mais ils sont peu nombreux. C’est une situation délicate, je n’aime pas du tout faire ce genre de demande L’autre particularité c’est que je ne peux pas reporter ces conventions sur la fin de l’exercice 2020 puisque toutes les semaines dédiées à l’approche Carpe Diem sont déjà occupées. Voilà ce que je vis depuis 2 mois et demi, et je ne vois pas bien comment je vais m’en sortir et redémarrer avant 2021. » 

« Reprendre, mais dans combien de temps ? »

« Je me fais une raison par rapport à la situation, mais je suis inquiète pour l’avenir. La particularité de Nota bene est de travailler exclusivement en EHPAD. Dans mon malheur, j’ai la chance que la formation à l’approche Carpe diem est une formation très appréciée en France et que les EHPAD continueront à nous solliciter pour nous faire intervenir. Je me dis que lorsque nous serons débarrassés du virus, nous pourrons reprendre normalement. Mais dans combien de temps ? Et comme je ne suis pas près d’y retourner, quid de notre résistance d’ici là ? »

Sophie Nonnenmacher espère retrouver une activité normale à la fin de l’année ou début d’année prochaine. Les entreprises dans lesquelles elle intervient l’ont informée qu’avec la crise, elles se sont fixées d’autres priorités que la formation : reprise de l’activité, retour des salariés, réorganisation, etc. Les formations non obligatoires sont les premières à passer au second plan (égalité, lutte contre les discriminations).

« Je ne faisais pas du tout d’interventions à distance. J’ai dû adapter mes formations en catastrophe, même si je ne suis pas partie de rien (outils numériques, outils pédagogiques). Modifier l’ingénierie pédagogique est obligatoire, parce qu’on ne peut pas garder les gens devant un écran des journées entières. Mais je préfère le présentiel. En plus des problèmes techniques, des difficultés des personnes à se connecter, leur maîtrise parfois limitée des outils, on perd l’ambiance de la classe, les expressions, les interactions… les échanges simultanés on ne les a pas comme en présentiel. Forcément, Il y a des gens que l’on perd. Du coup, on peut parfois avoir l’impression de parler seul devant notre ordinateur. »

« On avait déjà réfléchi avant la crise, pour introduire du distanciel dans nos formations, par exemple un jour sur 4. » ajoute Joëlle Tobelem. « Mais ça n’était pas vraiment satisfaisant. Déjà, en présentiel, ça n’est pas évident de faire passer des messages à 20 personnes. Mais à distance, c’est vraiment très difficile. Le distanciel, pour moi, reste du domaine de la fausse relation, il manque des éléments. Peut-être aussi que nous appartenons à une génération qui préfère le présentiel, le tactile pour les jeux de rôle par exemple. »

Dans le futur, la formation Carpe Diem devrait se poursuivre uniquement en présentiel. Elle n’a pas vraiment de sens autrement en raison de son contenu. Le problème n’est pas l’outil, mais la difficulté de garder les apprenants sur écran pendant plusieurs heures et le fait qu’il n’est pas possible de mobiliser les équipes en EHPAD pendant 2 heures tous les après-midis, 10 jours durant. « Nos formations demandent un investissement important de la part des établissements, on se doit de leur garantir un apport pédagogique à la hauteur de cet investissement L’offre de formation ne doit pas baisser en qualité. »

Après la crise, Sophie Nonnenmacher est persuadée qu’elle reviendra au présentiel, seule façon de se rendre compte de tout ce qui se passe au sein d’un groupe. « En revanche, il est possible que je conserve des webinaires réguliers sur certains sujets, où je pourrais toucher des gens partout en France. Ce que je ne peux pas faire en présentiel parce que j’ai une activité régionale, voire locale. Ce qui est sûr, c’est je ne me déplacerai plus à Paris ou Bordeaux pour des rendez-vous, notamment pour un premier contact. Désormais, j’utiliserai les modalités à distance. Ce sera une source d’économies en temps et en budget. »

Cap Métiers - 9 juin 2020

Lire : L’accompagnement des travailleurs handicapés accélère sa numérisation (20/05/20)

L’accompagnement des travailleurs handicapés accélère sa numérisation

Depuis 2018, les Cap emploi sont chargés d’accompagner les demandeurs d’emploi, les salariés et leurs employeurs dans le cadre de deux missions différentes, le recrutement et le maintien dans l’emploi, ancienne mission des Sameth. Au début de la crise, l’ensemble du réseau régional a basculé en télétravail et les locaux ont été fermés, ainsi que l’accueil au public. Le fonds de l’offre de service des Cap emploi reste le même, seule la modalité technique diffère. 

« Nous avons continué l’activité à plein » décrit Pascal Olivo, délégué régional Cheops Nouvelle-Aquitaine (le réseau Cheops rassemble tous les Cap emploi depuis 2016, sur le plan national et dans 16 représentations régionales). « D’autant plus facilement que nos commanditaires et financeurs nous ont tout de suite informés qu’ils maintenaient les budgets. Et parce que nous étions déjà outillés pour continuer nos accompagnements à distance. » 

Les publics se sont manifestement adaptés. Le fonctionnement est resté quasi normal pour les entretiens, par téléphone, visioconférence ou SMS. « En Creuse, nous avons pu garder contact avec 95% des personnes qui étaient en accompagnement dans leur recherche d’emploi » constate Aurélie Gainant, directrice de Cap emploi 23. « Pour le reste nous avons perdu le lien à cause des difficultés techniques relatives à Internet, et aux zones blanches téléphoniques. »

« Nous avons assuré le lien »

Dans l’ensemble du réseau, le maintien du lien avec les publics fragiles s’est avéré fondamental. « Nous avons été très présents par téléphone auprès des personnes dont on connaissait les fragilités du fait de leur handicap psychologique ou psychique. Elles ont été prioritaires dans les 2 premières semaines. Nous avons assuré le lien avec les personnes assez isolées socialement et géographique, en fragilité psychologique. »

« Parmi notre public, il y a une part de publics fragiles plus importante que la moyenne » Précise Pascal Olivo. « Nous sommes prudents sur le positionnement des gens sur les offres, avec une contrainte supplémentaire, veiller à l’adéquation du problème de santé Covid. Fondamentalement, notre métier n’est pas de placer des gens, c’est de compenser le handicap, une logique d’inclusion dans la vie normale. C’est là notre valeur ajoutée. »

La recherche d’emploi a bien évidemment été perturbée pendant la période de confinement. Globalement, les personnes qui étaient engagées dans une construction de projet ont pris le temps de mener leur réflexion, aidées en cela par des outils qui leur étaient proposés : tests à distance, moocs, etc. Le but était de les rendre le plus autonomes possible et de développer leurs compétences numériques, toujours avec un suivi et des contacts réguliers avec les conseillers. Toutes choses un peu annexes à la recherche d’emploi, mais qui permettent de préparer leurs futures recherches.

« Privilégier la rencontre directe »

« Nous proposons plus de services à distance. En Creuse, ça n’était pas forcément dans nos habitudes puisque nous avons toujours privilégié la rencontre directe avec les personnes, on se déplaçait beaucoup à proximité de leurs lieux de vie. Le confinement a bouleversé la façon dont les conseillers travaillent. Mais on s’est aperçus qu’on n’y a pas perdu en qualité. » Les premiers entretiens sont fondateurs, ils permettent véritablement de poser les règles de l’accompagnement, les souhaits et besoins de la personne. De l’avis des conseillers, les contacts par téléphone sont plus déstabilisants. Le lien est transformé, mais lorsqu’il existe au préalable, il est conservé et cela ne pose aucune difficulté. Le créer à distance est plus difficile, cela n’a pour autant pas empêché de nouvelles personnes prescrites par Pôle emploi ou la MDPH de commencer leur accompagnement. 

La baisse a été plus sensible en ce qui concerne l’activité entreprises, sur les offres et les nouveaux cas de maintien dans l’emploi, le recrutement n’ayant pas été pas leur priorité pendant ces 8 semaines. Il a pourtant été possible de poursuivre l’accompagnement des employeurs et des salariés pour les aménagements de poste. « Au lieu de faire des visites dans les entreprises, nous avons eu des échanges de photos et de vidéos par courriel, pour que les conseillers puissent se représenter les postes de travail et faire des propositions. Le lien avec la médecine du travail a aussi été maintenu. »

Et puisque les entreprises étaient plutôt à l’arrêt sur la partie production, beaucoup en ont profité pour gérer la « paperasserie administrative » et finaliser les aménagements de poste, monter des dossiers de demandes financières, fournir l’ensemble des justificatifs parfois en retard. La note positive, c’est qu’un certain nombre de dossiers ont été ainsi pu être finalisés.

« Poursuivre la dynamique »

Le réseau national avait engagé une réflexion collective l’année dernière sur l’utilisation des moyens numériques. Les événements ont eu un effet accélérateur. L’offre de services est partout la même, mais ce sont les contextes locaux et la taille des structures qui déterminent ce qu’il sera possible de développer. « En Creuse, j’ai moins la possibilité d’installer des moyens numériques pour les publics parce que nous ne sommes qu’une dizaine. C’est l’intérêt de travailler en réseau régional et national. Nous tirerons surement des enseignements de la crise pour plus tard. Nous avons été obligés de modifier la modalité d’accompagnement, mais qualitativement c’est toujours aussi intéressant. »

Pour Pascal Olivo, il était important de proposer aux gens des solutions en matière de formation à distance. Notamment dans l’accès au numérique. « Certains ont des difficultés avec l’accès au numérique, mais des formations existent. En interne, nous avons mis en place des formations à distance au sein du réseau, nous en profitons pour augmenter l’effort pour nos salariés. »

« Au fond, sur notre pratique professionnelle, ce qui découle de la crise sanitaire, c’est une accélération du numérique. Mais c’était déjà en route. Cette dynamique, nous aimerions qu’elle s’accentue dans des proportions raisonnables, sachant que l’on fait du travail social, et que le contact direct a son importance. Notre inquiétude, c’est surtout la formation. Nous sommes de gros consommateurs dans ce domaine, et nous allons attendre de voir comment les organismes vont se structurer, s’adapter. Pour eux le défi me parait important. Dans nos pratiques, nous n’attendons pas de grosse révolution. »

Aurélie Gainant estime que le télétravail et les services à distance se poursuivront, même si elle pense que ça n’est pas forcément un besoin ou un souhait fort du public. « Nous attendons les retours d’expérience, surtout en ce qui concerne les nouveaux entrants pour lesquels c’est délicat de tisser un lien à distance. Mais il est certain que les modalités de délivrance de notre offre et notre organisation internes vont être modifiées. »

Cap Métiers - 20 mai 2020

Lire : Le CEP pendant et après la crise sanitaire (14/05/20)

Le CEP pendant et après la crise sanitaire

Le principe général du Conseil en Evolution Professionnelle (CEP) est d’orienter, conseiller, d’aiguiller des personnes vers de nouvelles pistes. Il s’adresse aux actifs qui ont un projet de mobilité interne ou externe, de repositionnement sur le marché ou de reconversion. Pour les demandeurs d’emploi il s‘agit de retrouver une activité, et pour les jeunes diplômés, de trouver un premier emploi. La crise sanitaire n’a pas modifié ce principe, elle a même probablement renforcé ces objectifs (voir notre fiche technique CEP).

« En tant qu’opérateur régional CEP, porteur d’une mission de service public, nous devions assurer la continuité du service » déclare Gérald Maury, Directeur de projet Conseil en Evolution Professionnelle Nouvelle-Aquitaine et directeur du CIBC 33. « D’abord en s’assurant que les 90 conseillers poursuivent leur activité en télétravail grâce aux solutions disponibles. Bien sûr Il a fallu arrêter du jour au lendemain d’accueillir du public dans la centaine de sites que compte le réseau. »

De la part des équipes, le temps d’organisation personnelle s’est avéré plutôt bref. Très rapidement les préoccupations ne portaient plus sur les conditions de travail. D’autant que certaines structures du réseau travaillaient déjà sur des modalités distancielles, elles n’ont pas connu de bouleversement. Celles qui ont dû s’y mettre dans l’urgence ont vite constaté leur efficience et leur fluidité.

« Franchir une marche »

Du côté de l’Apec, l’Association pour l’emploi des cadres, la réflexion sur le maillage entre services présentiels et distanciels était engagée avant la crise, tant sur le plan national que régional. La période a été un accélérateur, les équipes se sont rapidement converties aux services distanciels. Selon Danielle Sancier, Déléguée régionale, « le confinement s’est traduit par l’obligation de réagir très vite. Notre DSI a fait en sorte que tous nos consultants aient une solution, un accès à notre plateforme et l’ensemble de leurs outils. Nous utilisions déjà des moyens numériques, mais il nous restait une marche à franchir. »

Depuis le début de la crise, l’Apec régionale a ainsi pu tenir 80% de son activité cadres et jeunes. D’autant que les modalités de prise de rendez-vous étaient déjà numérisées depuis début 2019 sur le site Apec.fr. « A l’entrée de la crise, nous avions beaucoup de rendez-vous programmés. Pour les sécuriser, nous avons contacté chaque personne  afin de proposer des entretiens ou des ateliers  à distance. A notre satisfaction, nous avons eu peu d’aléas. »

Même constat pour Gérald Maury. « Toutes les personnes qui avaient un rendez-vous, un accompagnement en cours, ont bien vécu cette situation. Elles étaient satisfaites que le service soit maintenu pendant la période. Nous n’avons quasiment pas eu de défections. Mais depuis le 17 mars, nous avons une baisse importante du nombre de nouveaux entrants depuis. »

« Trouver une écoute »

Dans un premier temps, en raison des contraintes pratiques du confinement, les publics se sont peu préoccupés de leur situation professionnelle. Le nombre d’appels a baissé de manière significative, ce qui semble indiquer que beaucoup ont choisi de reporter leur réflexion. Lorsque l’échéance du 11 mai a été connue, ils se sont mis à se questionner à nouveau sur leur positionnement au regard du déconfinement programmé. Par la suite, des personnes vont se poser la question de leur réorientation professionnelle et d’aller vers des activités qui sont encore plus porteuses de sens pour elles. C’est dans le CEP que cela va se traduire.

« Les premières semaines le problème de l’orientation professionnelle n’arrivait pas en premier » ajoute Danielle Sancier. « De la part des personnes, il y avait surtout  un besoin particulier de trouver une écoute, de pouvoir parler de leur situation. Les cadres se posent plus facilement la question de leur évolution lorsque le marché est favorable, particulièrement les actifs occupés. En revanche la crise sanitaire bouscule les valeurs qui sont des déterminants forts de changements professionnels. S’agissant des demandeurs d’emploi la période peut-être vécue plus durement. Il y a peut-être aussi des personnes qui n’envisagent pas d’être dans une relation à distance. »

« Ceux qui attendent que ça se passe peuvent se mettre en difficulté, » estime Gérald Maury. « Cela doit être un point d’attention pour les pouvoirs publics et nous, acteurs du CEP, de les amener à ne pas subir une situation qui risque de durer. C’est très important qu’ils profitent de leurs droits individuels. Pour essayer de toucher ce public qui ne se questionne pas, sans être dans une posture anxiogène, nous avons communiqué sur le fait que c’était le moment de réfléchir sur sa situation personnelle et professionnelle. Il faut convaincre les gens qui risquent de subir une situation économique dégradée, de la nécessité d’être proactif. »

Si certains publics sont dans une position d’attente, le phénomène inverse existe également. Il s’agit de personnes qui se trouvent dans une position réflexive sur leur situation, qui ne la voient plus forcément comme avant. Elles s’interrogent sur le sens qu’elles peuvent donner au travail, sur leurs conditions de travail, sur ce qu’ils veulent vraiment. Le CEP peut être la clé pour accompagner cette réflexion.

De son côté, l’Apec a eu le souci de mobiliser ses équipes pour garder le contact avec les recruteurs, particulièrement des entreprises de moins de 250 salariés, les plus touchées par la crise. « Il est essentiel pour nous de continuer à donner de la visibilité sur le marché de l’emploi. C’est une des valeurs ajoutées de nos services. Les prévisions de recrutement pour 2020 étaient excellentes en début d’année et bien évidemment, à ce stade, elles sont à revoir. Il est encore trop tôt pour se rendre compte de ce que sera la suite. Certaines entreprises sont intéressées à former leurs salariés, notamment ceux en chômage partiel, avec le dispositif FNE Formation.  On retrouve bien toutes les problématiques à l’œuvre dans le CEP. »

« Répondre aux choix des bénéficiaires »

Les opérateurs estiment désormais qu’il est possible de faire un travail de qualité avec des personnes éloignées, et de les accompagner pour des parcours complets. Pour autant, au moins pour la phase initiale de diagnostic de situation qui nécessite de prendre en compte l’entièreté d’une personne, le contact direct reste important. Tout l’enjeu pour l’avenir consistera à trouver la bonne dose entre distanciel et présentiel. 

Gérald Maury estime que le service va se poursuivre de manière distancielle au moins jusqu’à la fin mai. Le réseau régional CEP couvrira progressivement ses sites, en lien avec ses partenaires et France compétences. « Ma position aujourd’hui est qu’il nous faut prendre le temps d‘assurer un déconfinement suffisamment sécurisé pour nos personnels, et cela est très bien compris par les bénéficiaires. Progressivement, nous reviendrons aux rendez-vous physiques suivant leurs besoins : rappelons que le CEP fonctionne sur les principes de personnalisation et d’individualisation. » 

Une enquête réalisée l’année dernière dans le réseau CIBC révélait que le présentiel figurait parmi les attentes les plus fortes du public. Il est probable que certains publics vont vouloir plus de distanciel, mais la forme présentielle restera dominante. « Ce qui est essentiel pour nous c’est le service de proximité. Il faut permettre à un individu de pousser la porte, d’identifier le service plus facilement. »

De fait, c’est dans les gènes du CEP actuel que de proposer des modalités choisies par chaque personne. Elles peuvent être sur site ou à distance, synchrones ou asynchrones. Aujourd’hui l’asynchrone passe essentiellement par des voies classiques d’envois de documents, d’échanges électroniques. « Nous devons prochainement proposer une plate-forme collaborative pour travailler entre deux entretiens en visioconférence, selon une logique de pédagogie inversée qui enrichira l’accompagnement. Ce sera comme un espace de stockage en ligne qui permettra les échanges avec les personnes, et leur travail en autonomie sans que ce soit de manière synchrone. »

Danielle Sancier souligne une des limites du travail en distanciel. « Indéniablement, il permet des gains en termes de contenu, une optimisation du temps et des déplacements. Il demande cependant plus de  concentration. Dans la durée on constate un effet de fatigue, l’attention étant mobilisée  sur les mêmes canaux. Il faut le prendre en considération en termes de qualité de service pour les bénéficaires de nos services et de qualité de vie au travail pour nos équipes. Il faudra trouver le bon dosage. »

Gérald Maury pense qu’il faut rester prudent, ne pas être dans une approche dogmatique. « Pour moi le sens de l’histoire, est de répondre de manière singulière parce que l’individu va de plus en plus choisir la profondeur du niveau de service et les modalités pratiques qu’il souhaite. Le conseiller est devenu un technicien qui utilise des solutions plurimodales en fonction de la préférence de la personne. ».

Cap Métiers - 14 mai 2020

Lire : Accompagner les publics fragiles en confinement (29/4/20)

Accompagner les publics fragiles en confinement

Depuis le début de la crise sanitaire, INSUP Formation et l’AFEPT (Bordeaux) font partie des organismes qui ont choisi de poursuivre au moins partiellement leur activité à distance. Ces deux organismes travaillent essentiellement avec des publics éloignés de l’emploi, en situation de précarité, en déployant des dispositifs comme « amorce de parcours », « compétences clés », des actions vers les réfugiés, etc.

Les publics très éloignés de l’emploi, bénéficiaires des actions de socialisation, d’accompagnement, et d’orientation, connaissent souvent des problèmes de mobilité. Mais ils ne disposent pas forcément des outils nécessaires à un accompagnement à distance, et n’en maitrisent pas toujours le fonctionnement. Sans compter que la réalité du confinement limite l’accès à l’ordinateur familial.

« Même s’ils en ont la volonté, ils ont de grosses difficultés à mobiliser les outils numériques » explique Muriel Pecassou, directrice d’INSUP formation. « On a mis en place des actions qui ne sont pas financées, pour garder du lien avec ces personnes, un point essentiel pour elles. Mais sur certains dispositifs comme les amorces de parcours, on arrive au bout de ce qu’on pouvait faire à distance puisqu’ils comportent une phase d’immersion en entreprise. »

Il n’a donc pas été possible de maintenir toutes les actions et de mobiliser tous les apprenants. D’autant que les formateurs ont passé beaucoup de temps à adapter leur ingénierie, revoir des contenus, déployer rapidement de nouveaux moyens. « Par exemple, sur les compétences clés ou pour les prestations Pôle emploi, nous avons essayé de maintenir l’activité pour ceux qui le pouvaient, et c’est bien pour le public. Nous avons regroupé les gens lorsque c’était possible. »

« de la mobilisation et de l’essoufflement »

Au dire des opérateurs, la poursuite de l’activité a néanmoins été globalement bien suivie par les bénéficiaires. Mais au fur et à mesure, même chez les plus mobilisés, un certain essoufflement s’est fait sentir. En plus de la précarité, des obstacles matériels, se sont ajoutées l’anxiété provoquée par le changement de mode de vie brutal et des craintes dues au confinement, tous éléments pas toujours pris en compte. Muriel Pecassou insiste sur la nécessaire prise en compte globale de l’individu, dans toutes ses dimensions, sociale, santé, économique. C’est toujours valable à distance, même si le numérique ne règle pas tout, qu’il n’est pas approprié dans toutes les situations.

Lisa Drai, directrice de l’AFEPT, a constaté un taux d’adhésions assez important, du moins dans les premiers temps. « Nous avons maintenu à peu près 70% des parcours sur des dispositifs comme compétences clés. Les 2 ou 3 premières semaines ont été assez euphoriques pour les apprenants et pour les formateurs. Il a fallu passer du présentiel au distanciel à domicile, avec des nouvelles modalités, de l’information et des courriels quotidiens, de nouveaux outils. Il y a eu une vraie émulation pendant 3 semaines. Mais ça a épuisé toutes les équipes. »

« Je crois que le fait d’avoir été bousculés, c’était difficile pour certains, mais ça a activé le processus vers plus de formation à distance. Il y a des choses qui sont bénéfiques et qui vont continuer, pour les apprenants et les formateurs même pour les administratifs. » Muriel Pecassou ajoute que « le point positif c’est que je me bats depuis un certain temps contre les résistances et pour les changements de posture des formateurs pour aller vers de la formation à distance. Même si je pense que tout ne peut pas être fait à distance. Et là, les formateurs sont obligés de s’y mettre. Ils l’ont fait plus facilement que ce que j’aurais pensé. »

« Maintenir le lien »

Au rang des priorités, le maintien du lien social. Dans ce domaine, le distanciel ne peut totalement remplacer le présentiel qui reste indispensable dans l’accompagnement des publics fragiles, en permettant aux apprenants de s’entraider, de travailler et d’avancer ensemble. Les formateurs qui ont dû trouver des solutions à distance sont beaucoup plus sollicités, ce qui confirme que les personnes ont réellement besoin de ces échanges.

« Le lien avec la structure est important. Si on ne maintient pas ce lien à distance, nous allons perdre des gens et ce sera difficile pour la reprise. » Muriel Pecassou note également que beaucoup d’anciens stagiaires se manifestent, ce qui confirme l’importance de ce lien. « Ce n’est pas forcément le meilleur moment, mais ils nous contactent parce qu’ils sont inquiets. Par habitude, nos stagiaires passent souvent nous voir, mais là c’est encore plus fréquent. »

« Les formateurs vont au-delà de leurs missions de formation » décrit Lisa Drai, « pour être un appui aux bénéficiaires et publics spécifiques dont beaucoup sont dépassées par la situation, doivent s’occuper des enfants, connaissent des situations de violence pour certaines. On organise aussi des livraisons de colis alimentaires. On va au-delà de notre mission, et aujourd’hui je salue mes équipes qui s’inscrivent aussi dans cet impératif de ne pas laisser les gens dans l’isolement. Dans cette période, je pense que nous avons un rôle à jouer en tant qu’acteur de la solidarité »

« aller vers l’inclusion numérique »

La période de confinement a d’ores et déjà démontré que les nouvelles modalités à distance, mises en place dans l’urgence, constituent une vraie plus-value en cela qu’elles donnent accès à la formation aux publics les plus fragiles, situés en zone rurale, qui ne disposent pas de véhicule, etc. Le numérique permet aussi, bien qu’imparfaitement, de répondre aux problématiques de lien social et d’isolement. Les obstacles matériels existent, trop de bénéficiaires n’ont pas d’équipement, ni une connexion suffisante. Mais ils pourraient être levés relativement facilement, par exemple en intégrant la fourniture d’un ordinateur et d’une abonnement Internet dans le coût global des parcours.

Pour Lisa Drai, « une des missions qu’il faut qu’on porte demain, c’est de travailler systématiquement sur l’inclusion numérique pour tous les publics, parce que ça deviendra la norme demain. Cela peut se faire de manière progressive, commencer à 80% ou 100% en présentiel, et passer sur du distanciel en fin de parcours, que le stagiaire soit accueilli dans un dispositif de formation, de remobilisation ou d’insertion. On dit tous les jours qu’il y a une partie de nos bénéficiaires qui sont exclus de ce 100% numérique. Mais on ne peut pas se contenter de faire ce constat et ne pas proposer des solutions pour qu’ils soient équipés et qu’ils comprennent ce que l’usage du numérique peut leur apporter. »

« poursuivre la dynamique »

La contrainte externe imposée par le virus a créé une dynamique positive, que les deux organismes espèrent voir s’inscrire dans le temps. Selon eux, il faudra entraîner ceux qui n’ont pas fait ce pas en avant, et en quelque sorte maintenir cette contrainte, afin d’éviter le retour aux pratiques habituelles. Ils estiment que ça ne se fera pas sans une véritable intention de la part des acteurs, y compris dans le rapport avec les pouvoirs publics.

Lisa Drai estime que « pour que je puisse le porter en tant qu’organisme de formation, il faut que cette contrainte soit maintenue au niveau des pouvoirs publics. Un des enjeux pour la suite, c’est de trouver comment un financeur accepte dès la reprise qu’on fasse des parcours avec des modalités de formation différentes, qu’on maintienne du distanciel de façon systématique et comment la transition numérique est un module essentiel, obligatoire, quel que soit le dispositif ou l’action de formation mis en place. »

Les récentes réformes encouragent le recours à la formation à distance. Les organismes pensent que ce mot d’ordre est mis en avant en raison des économies attendues, mais estiment qu’il ne faudra pas s’attendre à une baisse des coûts, qui resteront au moins équivalents. Notamment en raison d’une plus grande individualisation de l’accompagnement des publics en difficulté et de la nécessité d’avoir des temps de coordination réguliers qui ajoutent du travail par rapport au présentiel.

Dans l’immédiat, l’inquiétude porte sur l’année à venir. « La crise économique qui s’ajoute à la crise sanitaire nous emmène jusqu’à fin 2020 voire 2021. La sortie de la crise sanitaire, ça ne nous appartient pas de toute façon. Mais accompagner des demandeurs d’emploi dans une situation de crise économique, ça n’est pas la même chose que de les accompagner dans une période de croissance, avec des perspectives d’emploi. On va encore avoir quelques mois pendant lesquels il va être difficile de porter la dynamique. »

Cap Métiers - 29 avril 2020

Lire : Les organismes de formation régionaux face à la crise sanitaire (17/04/20)

Les organismes de formation régionaux face à la crise sanitaire

Les organismes de formation ont été, comme beaucoup d’autres, brutalement confrontés à l’annonce du confinement. Dès les premières heures, la question s’est posée : poursuivre ses activités ou pas ? Et si oui, comment ?

Pour Francis Dumasdelage, directeur d’AFC Formation et président de la FFP Nouvelle-Aquitaine, « globalement les acteurs ont su bien réagir, une réaction très rapide » du moins ceux qui le pouvaient, notamment dans le tertiaire. Pour des formations très techniques, comme la conduite de poids lourds, ou celles qui nécessitent un plateau technique, c’était évidemment impossible à envisager.

Pour l’organisme poitevin Indigo formation, « le premier réflexe a été d’assurer une continuité, et de ne pas lâcher les gens dans la nature, de ne pas les abandonner. Mais on sait qu’on prend un risque, on laisse des gens au travail, sans aucune certitude. Et on se lance dans quelque chose sans aucune assurance économique. »

Du côté de l’IRFREP, la réflexion s’est faite en deux temps. « Le 16 mars, on s’est dit qu’on devait arrêter, comme les autres. Petit à petit on a reçu des communications des institutionnels et financeurs nous demandant ce qu’on pouvait faire pour ne pas tout arrêter. Ce n’était pas simple parce qu’on n’était pas prêts, et nos publics non plus. On est sur de l’humain, on ne pouvait pas fermer comme ça. J’étais prête à tenter des expériences sur un territoire ou deux, voir ce que ça donne et comment nous allons être financés. Je n’ai pas voulu engager toute la structure. Mais c’est une prise de risque. »

Certains organismes n’ont en revanche pas voulu, ou pu, poursuivre leurs activités, essentiellement en raison des incertitudes économiques, et du manque de visibilité. Ou encore qu’ils ne disposent pas des ressources humaines nécessaires.

Pour la plupart des actions, les groupes déjà constitués ont été maintenus. Mais celles qui n’avaient pas encore démarré ont été reportées. Dans les premiers temps, il fallait « faire avec les moyens du bord », et beaucoup de bonne volonté. En utilisant des outils mobilisables immédiatement, que chacun connaissait déjà plus ou moins, et qu’il a fallu prendre en main très rapidement (Teams, Zoom, Skype). La première étape, quel que soit l’outil retenu, était de reprendre contact avec les apprenants, de multiplier les échanges individuels par téléphone ou par courriel.

« Pour les activités d’insertion, les suivis individuels, l’appui social individualisé ou d’accompagnement du public RSA, on a décidé de maintenir un lien minimum avec les personnes, » précise Fabienne Hubert, directrice régionale de l’IRFREP, « en essayant de rompre l’isolement et de maintenir le lien social, parce que ce sont des personnes en très grande difficulté. »

« Chaque groupe s’est organisé avec une procédure qu’on a mis en place en 48 heures », explique Danick Cormier, directeur d’Indigo formation, « qui consiste dans les grandes lignes à proposer aux gens un programme pour la journée, mettre en place un travail à réaliser, un suivi individuel, des actions de groupe, des retours, etc. » Florence Debord, coordinatrice de l’action Amorce de parcours pour Indigo formation, ajoute que « dès le lundi on s’est vus avec mon équipe pour définir en place les outils dont on pouvait se servir, de quelle manière on pouvait s’organiser, avec pour objectif de maintenir ce lien. Mais aussi pouvoir prouver que ce travail était fait, puisque on savait très bien qu’à un moment donné on nous demanderait des comptes. »

Globalement, le lien pédagogique a été maintenu et il a été possible de continuer à faire passer le contenu. Par ailleurs, cette manière de procéder a eu comme premier effet de mettre en place l’individualisation, ou de la renforcer, d’amener les gens vers l’autonomie. Mais lorsqu’il est apparu que la crise se poursuivrait au-delà des deux premières semaines, il a fallu prendre le problème différemment et s’installer dans la durée. Pour Francis Dumasdelage « cela changeait radicalement la façon d’aborder la chose, ne serait-ce que parce que ça n’est pas possible de faire 7 heures de face à face en visioconférence. Il faut couper la journée autrement, partir sur des exercices, sur des choses à rendre dans l’heure d’après, couper la visio quand elle n’est pas utile. Entrer en contact avec les apprenants au moins 3 à 4 fois par demi- journée. »

 

« Maintenir les gens dans la dynamique »

Suivant les publics, les réactions ont été différentes. Beaucoup d’apprenants ont très vite adhéré aux solutions qui leur étaient proposées, sous réserve qu’elles soient techniquement possibles. Car la première difficulté, c’est bien entendu l’accès aux outils numériques, qui n’est pas identique pour tous. Même si, de l’avis général « ce ne sont pas tant les moyens techniques qui comptent, que ce qu’on en fait. »

La notion de très grande difficulté par rapport au numérique relève souvent d’une combinaison de facteurs : ne pas toujours disposer de son propre ordinateur ou tablette, d’une qualité de connexion insuffisante, ne pas savoir se servir des outils. Viennent s’ajouter les effets propres au confinement, l’impossibilité de s’isoler, des enfants à occuper, etc. « Il y a les limites des gens sans connexion, mais il n’y en a pas tant que ça, et les limites de ceux qui ont du mal avec les fondamentaux et nous avec certains publics, on arrive à 20%... c’est mitigé. » Pour les personnes qui ont des difficultés en lecture et écriture, plus une mauvaise connexion, les contraintes du confinement, un formateur qui a lui-même des difficultés à s’isoler, il n’a pas été possible de continuer.

Par expérience de certains dispositifs, les organismes de formation savent qu’il n’y a pas de différence entre les publics une fois que certaines barrières sociales ont été levées (logement, mobilité…). La même logique s’applique au digital dont il faudra lever les barrières comme celle du premier équipement, et développer le CléA numérique.

Quoi s’il en soit, pour ses groupes qui continuent à fonctionner, Indigo Formation ne pensait pas avoir aussi peu de déperdition. Et se dit même surpris de la participation des gens. « Cela dépend aussi du formateur, qui lance, relance, qui reprend en individuel, anime le groupe, qui permet l’expression de chacun. Pour que cela fonctionne, il faut vraiment un coaching de groupe. » Pour certains apprenants, le distanciel a eu un effet libérateur, et ils participent plus qu’en présentiel. Dans tous les cas, la motivation des stagiaires et un pré requis, puisque ce que l’on attend d’eux dans de telles circonstances, c’est une organisation particulière, qui nécessite de s’astreindre à un travail régulier.

Florence Debord insiste sur l’importance de la cohésion dans les groupes, qui « ont besoin et envie d’être ensemble. Des réunions en petits groupes, en binômes, la création d’un groupe whatsapp, d’un drive commun, chaque groupe a mis en place des outils propres pour garder ce lien. Pour moi, plus tard, il ne pourra pas y avoir que de la formation à distance, parce que la richesse de nos groupes actuels, c’est qu’ils ont démarré en présentiel, et qu’il s’est créé quelque chose, qu’ils ont besoin les uns des autres. »

Les publics en insertion suivis par l’IRFREP ont également mise en place de « des belles initiatives, des échanges de courriels, des échanges de recettes de cuisine ou de pâte à sel pour les enfants. Tous les moyens sont bons pour essayer de garder les gens la tête hors de l’eau. On élargit le spectre, on est moins sur l’insertion professionnelle, mais on essaie de maintenir les gens dans la dynamique, ne pas les laisser sombrer. On se rend compte qu’il y a une belle solidarité entre les personnes qui communiquent entre elles. »

Même constat pour AFC qui s’est aperçu que « les apprenants créent des communautés, sans nous. Ils se sont aperçus que ça allait énormément les aider. Et Nous avons dit aux formateurs de se servir de ce pair à pair. C’est pour ça que la barrière est tombée chez les formateurs, que le formateur n’est plus le seul détenteur du savoir, c’est un positionnement à revoir. Même des formateurs un peu réticents au départ constatent que ça casse des barrières. Donc là maintenant, il faut aller sur le pair à pair, créer les outils, créer les communautés apprenantes. »

Autre effet constaté, la notion de temps est totalement éclatée. Cela produit des effets différents selon les formations, les groupes et surtout les contraintes individuelles. Autrement dit, l’organisation et le rythme imposé (objectifs quotidiens, réunions) se sont révélés impossibles à suivre pour certaines personnes qui parfois ne peuvent se libérer du temps que tard le soir, voire la nuit. 

 

« Revoir l’ingénierie pédagogique »

Le constat est partagé. « La charge du formateur est beaucoup plus importante. » « Mes équipes me disent qu’elles n’ont jamais autant travaillé, pour répondre à des demandes individuelles, fournir des précisions, corriger des exercices », « Les équipes sont mobilisables, mais passent beaucoup de temps, elles ne comptent pas leurs heures. »

Les formateurs n’échappent pas aux limites imposées par la crise, comme le décrit Fabienne Hubert. « Nous avons quand même un souci, certains n’étaient pas préparés. Dans nos salariés, on a aussi des personnes qui ne sont pas disponibles parce qu’ils ont des enfants à garder. C’est compliqué à mettre en œuvre. On a aussi des membres de l’équipe pédagogique qui sont situés en zone blanche. Certes on apprend en marchant, on met sûrement plus de temps qu’il n’en faudrait. Malgré tout, toute l’ingénierie pédagogique est à revoir. »

Ce qui ressort de la période, c’est qu’il faut de la part du formateur et de la coordination une extrême rigueur, et qu’une dynamique de management doit être mise en place. « Nous avons demandé à nos responsables pédagogiques d’animer nos formateurs. » Explique Francis Dumasdelage. « C’est important d’éviter leur isolement. Nous avons des réussites, mais aussi des endroits où ça n’a pas été possible, parce que le formateur était peu enclin à utiliser ses techniques, parce qu’il a lui aussi les contraintes du confinement et que ça n’est pas toujours possible pour lui de tout mener. »

Pour Danick Cormier, « les gens ne maitrisent pas toujours les outils. Il a déjà fallu passer le temps d’explication vis-à-vis des équipes. Les outils, on va les perfectionner au fur et à mesure, leur demander des choses qu’on ne leur demandait pas avant. »

Florence Debord porte une attention particulière à la mise en place d’un cadre précis. « J’ai demandé aux formateurs d’être très rigoureux sur la production attendue. Sinon, ils peuvent être vite débordés par les appels des stagiaires, des demandes de précision. Et c’est très chronophage. C’est donc la qualité de la consigne de départ qui va faire que le déroulé va bien se passer et que ça ne va pas être angoissant pour les apprenants. »

Imposer un cadre est donc essentiel, autant pour les formateurs qui réduisent ainsi les risques de perdre la main, que pour les apprenants rassurés par un environnement régulier et interactif, dans lequel ils trouvent une écoute. Particulièrement pour ceux qui voient leurs examens approcher.

Une fois cette structuration établie, le formateur est libre d’utiliser les outils qu’il veut, en fonction de ses préférences et de son groupe. S’il est clair avec ce qu’il fait, avec le sens qu’il donne au travail qu’il demande à ses apprenants en fonction de leurs besoins, ça fonctionne. Dans une salle, il est possible d’ajuster les consignes en direct. Mais à distance, une consigne peu précise, c’est la certitude de se trouver débordé d’appels.

Danick Cormier pense que « la période est formidable de ce point de vue, il y a une grande liberté au sein du cadre défini. D’un point de vue économique, ça coûte plus cher. On ne peut absolument pas se passer d‘une coordination très stricte, et ce temps-là n’est pas pris en compte. ».

 

« Evaluation, passer de l’ancien monde au nouveau »

En ce qui concerne l’évaluation, les ordonnances permettent aux financeurs de simplifier les règles de contrôle de service fait et leur ont donné plus de marge de manœuvre pour déterminer par quels « éléments probants » les organismes pourraient justifier de la réalisation des actions de formation.
Dans la situation actuelle, ces derniers s’inquiètent du caractère peu précis de ces dispositions, et appellent à « passer de l’ancien monde au nouveau ». Selon Francis Dumasdelage, « Il faut que les financeurs quittent la défiance vis-à-vis des opérateurs, qu’on vit depuis 1970. Il faut qu’on passe dans un monde de confiance aujourd’hui. La notion de confiance il faut l’acquérir, trouver la modalité de traçabilité la plus simple possible, sans revenir à l’attestation contre-signée par l’apprenant. »

« Il y a des outils, administrativement, dont on ne dispose pas aujourd’hui, qui permettraient de prouver tout le travail que nous faisons aujourd’hui.  Alors qu’on sait bien que les commanditaires, les OPCO, les financeurs, vont commencer à nous le demander bientôt. »

Fabienne Hubert reste « dubitative quand on nous demande les preuves de la présence et de l’assiduité. On se rend compte qu’on n’a pas forcément les outils qui correspondent à ces demandes. Donc on va faire des captures d’écran, des courriels, etc. Mais nous n’avons pas une plate-forme qui pourrait enregistrer le temps de connexion de chaque stagiaire. Pour l’instant les financeurs sont aussi en demande de ce qu’on peut produire. On va puiser les bonnes pratiques des uns et des autres pour essayer de trouver une modélisation. »

Pour Danick Cormier, la notion de confiance est liée à la notion d’expérimentation. « Il faut accepter qu’on ne réussisse pas toujours. Le risque de l’expérimentation pour un organisme, c’est que si on connaît un échec, on a peur d’être marqué au fer rouge. Et ça c’est quelque chose que les opérateurs craignent. La confiance, c’est sur le long terme, et il faut accepter qu’on se trompe, sinon il ne peut pas y avoir d’expérimentation sérieuse.

La loi sur la FOAD avait déjà commencé à changer la donne, à fixer des objectifs opérationnels de fin de formation. Ce qui est important ça n’est pas le temps et la durée, c’est l’acquisition de la compétence. Le débat n’est pas nouveau et la difficulté pour les organismes reste de prouver qu’une compétence a bien été acquise. « Ce qui est très fatiguant aujourd’hui », ajoute Fabienne Hubert, « et tout le monde le vit, c’est qu’il y a tellement de production d’écrits, de changements, de modifications, que l’on passe beaucoup de temps à suivre l’actualité, à essayer de ne pas rater des choses. »


« Après la crise, ne pas revenir en arrière »

« Nous avons fait en 15 jours ce qu’on ne pensait pas pouvoir faire en 3 ou 4 ans » raconte Francis Dumasdelage. « La nouvelle définition de l’action de formation nous donnait la possibilité de sortir des sentiers battus, la crise actuelle accélère les choses dans les comportements, c’est pour ça qu’il ne faudra pas revenir en arrière après. »

Pour Indigo Formation, la crise aura des incidences sur la manière d’aborder les pratiques. « En deux jours, on a expérimenté des choses qu’on pensait tout simplement impossibles. Néanmoins on en voit aussi les limites, et on va vers une capillarité des deux systèmes, entre présentiel et distanciel. On va surement faire des systèmes hybrides. En ce moment, l’avantage c’est que toutes les règles éclatent. Et donc ça nous laisse toute liberté. »

Tous appellent de leur vœux une évolution radicale du système et pensent que la crise est un accélérateur. Après quoi il ne sera pas possible de revenir en arrière. Mais tous considèrent également que la formation à distance à 100% n’est pas envisageable ni souhaitable. « Cette période est en train de nous montrer qu’on peut faire du distanciel aujourd’hui, que les gens sont prêts. Mais on voit bien que les gens ont besoin du présentiel. »

Les solutions à distance se révèlent fiables, mais l’importance du présentiel est aussi réaffirmée. Selon certaines conditions selon Francis Dumasdelage. « Du présentiel pour refaire du contenu, ça n’est pas la peine. Il faut le revisiter, redéfinir ses objectifs. Il doit en quelque sorte devenir du spectacle. Je pense que dans les parcours, il y aura demain du présentiel, du distanciel et de l’AFEST. Avec trois objectifs complètement différents. »

Danick Cormier pense lui aussi que « le présentiel reste tout de même incontournable dans bien des domaines. Et ça sera une complémentarité avec la formation à distance. Je pense déjà aux appels d’offre auxquels nous répondrons, qui devront effectivement créer une symbiose entre les deux. Et c’est possible. L’avenir est aux systèmes hybrides. »

« Le modèle multimodal sera surement la solution, » estime Fabienne Hubert. « Il faudra mixer tout ça. On sait désormais que nos publics sont prêts pour la formation à distance et que techniquement c’est jouable. Si les financeurs nous suivent, on sera prêts à le faire. Et on a tout à y gagner. »

Cap Métiers - 17 avril 2020