Un remède contre les préjugés, de l’art au partenariat
« Le point de départ de Préjugix, c’est ma démarche artistique », décrit Patrick Delpech, directeur artistique de « O.S. l’association » (O.S. pour « Open Space »). « Je suis plasticien, je fais des interventions en public, en improvisation. Et c’est dans ce cadre, en particulier avec des personnes en situation de handicap psychique, que j’ai rencontré en 2013 des adhérents d’« Entraide et vous », le groupe d’entraide mutuelle de Villeneuve-sur-Lot. Je les ai invités à venir dans mon atelier pour imaginer ensemble une performance en public. »
C’est au cours de ce travail en commun qu’un des participants, schizophrène, menuisier de métier, a exprimé sa lassitude de constater que son trouble était systématiquement associé avec les tueurs en série. « Je leur ai proposé de distribuer dans la rue un objet, comme des bonbons contre les préjugés. Cela a pris 6 mois avant que je me rende compte que c’était un peu trop difficile d’envisager une intervention directe face aux gens. Comme ils sont tous sous traitement, j’ai ressorti l’idée d’un médicament contre les préjugés que j’avais dessiné en les écoutant. »
Cette idée a fini de synthétiser le concept Préjugix, déposé officiellement en avril 2014 par O.S. l’association, créée la même année pour porter le projet. Une réflexion collective a été menée pour choisir les thèmes à aborder. Un an après, 9 partenaires rédacteurs sollicités pour rédiger des notices sur des thèmes divers (Handicap physique et mental, Dépression, Seniors, Jeunes, Violences conjugales, Homosexualité, Reconversion professionnelle...) ont rendu leurs contenus à l’issue d’une phase de rédaction de quelques mois. Le Préjugix 200 a été lancé officiellement en décembre 2015.
« Il y avait l’intermédiaire de l’outil artistique, qui permet d’incarner le message, pour que ça ait une valeur. C’était aussi une sorte de revanche pour certains rédacteurs, d’être sous traitement et de soigner la société. Le collectif a un peu grossi autour de l’association, et on a conclu que c’était plus intéressant de faire un seul produit avec tous les thèmes, qu’une boîte par thème. »
Depuis le départ du projet, la dimension de co construction est jugée essentielle par l’association. Ce n’est pas tant le concept du médicament qui soigne les maux de la société, que la transversalité des sujets permettant de se décentrer de sa propre problématique. « On voulait s’attaquer aux causes des discriminations. Les préjugés, on en a tous. Mais ensemble, on a la possibilité de les identifier plus vite. On arrive à en faire un point commun, un point de départ pour des échanges. La dimension de création artistique c’était d’utiliser le prisme de l’art pour imaginer quelque chose d’original avec ce qui nous encombre, des faits de société, des problématiques autour de la rencontre, avec lesquels on a du mal à coexister. »
Devant le succès du Préjugix 200 mg, distribué à 50 000 exemplaires, l’association a décidé fin 2017 de mettre en chantier une nouvelle version, le Préjugix 400 mg. Le principe est resté le même en étendant l’action aux 12 départements de Nouvelle-Aquitaine, avec l’ambition de trouver au moins un rédacteur par département. Un appel à projets a été lancé et, pour en faire la promotion, une « Préjugix party » s’est tenue dans chaque département. Il s’agissait d’expliquer la démarche, présenter les boîtes de 200 mg pour que les éventuels partenaires puissent se projeter sur le nouveau produit. Pour déposer un dossier, il fallait proposer un thème qui n’avait pas déjà été abordé.
Cette véritable tournée d’un an a finalement débouché sur deux comités de sélection qui ont déterminé la liste des 16 notices retenues. « Nous avons augmenté le nombre de thèmes par rapport au nombre de départements. Nous voulions aussi inclure certains sujets, par exemple les détenus ou l’autisme, qui n’avaient pas trouvé place dans la première boîte, faute de partenaire. D’autres nous ont convaincu alors que nous ne les avions pas anticipés, comme l’handiparentalité. »
Dans Préjugix, les rédacteurs de notices ne sont pas les seuls partenaires importants. Le projet a besoin de relais pour mettre en forme les boites livrées en kit, tester leur efficacité, organiser des évènements, des distributions. Il faut également des partenaires financiers. « Le fait que ma démarche personnelle, dans ma pratique artistique, comprenait déjà le participatif, la dimension de l’instant, est importante. Je n’ai pas eu de mal à ouvrir le champ de l’acte créatif pour cet objectif commun, avec beaucoup de participants. Là où j’ai évolué, c’est sur la démarche de construction de projet, qui est un temps que je n’imaginais pas mobiliser à ce point-là. C’est très intéressant d’avoir une véritable politique de gestion des partenariats, publics et privés, ce qui nous permet d’être crédible dans les deux univers, et d’être responsables de l’argent public. On a eu la chance de trouver des gros partenaires privés, au premier rang desquels AG2R La Mondiale, qui nous ont permis de rééquilibrer les choses, de ne pas tout attendre de l’Etat. Mais sans le soutien de l’Agence régionale de Santé et de ses animateurs et animatrices, nous aurions du mal à faire du maillage de territoire. Pareil avec la Région, qui nous a mis en contact avec un réseau de rédacteurs. »
La première édition du Préjugix 400 mg a été tirée à 60 000 exemplaires fin 2019, avec notamment une distribution dans 210 pharmacies, à raison d’une ou deux villes par département. L’association a également produit des vidéos évènementielles, des films de présentation de la démarche, des tutoriels de montage de boîte, des exemples d’utilisation, etc. Ainsi que des interviews photomaton, pour donner la parole à différents partenaires. Le site Internet sera reformaté, afin de valoriser les rédacteurs, et proposer à d’autres structures de rédiger des nouvelles notices qui seraient disponibles en format numérique. En décembre 2020, le projet fêtera ses 5 ans, avec un évènementiel numérique qui se déroulera sur les réseaux sociaux.
O.S. l’association a d’autres projets, même si le Préjugix lui prend beaucoup de temps. Sa raison d’être reste de faire venir des publics d’horizons différents pour partager des idées créatives, des concepts, créer de façon participative et ouvrir le champ de la création. « A partir de maintenant, notre priorité c’est de valoriser les boites. Nous avons réalisé un film qui va nous permettre de mieux communiquer sur leur utilisation. Nous voulons privilégier une approche intergénérationnelle, en allant à la rencontre de personnes âgées en ehpad, et des collégiens et lycéens pour créer avec eux une Préjugix party et les accompagner à utiliser les boîtes de manière autonome. Ensuite nous continuerons à développer les outils et la démarche pour qu’elle s’étende. En conservant le lien avec la dimension culturelle qui est dans l’ADN de l’association. »
Cap Métiers - 1er décembre 2020